C’est parti ! premier récit pour notre défi, on recommence en douceur avec un petit texte (un peu moins de dix pages) et un podcast comme d’habitude !
S’il vous plait, partagez ce contenu si vous avez des amis qui aiment lire, qui son curieux… et bien évidemment commentez car c’est très important de savoir ce qui vous plait et qui vous déplaît, et surtout c’est hyper bon pour le moral :)
Le dormeur doit se réveiller
Federico venait à peine d’arriver chez lui qu’il ne voulait qu’une chose : s’écrouler dans son lit et dormir 12h de suite.
A 32 ans il n’encaissait plus les sorties du vendredi soir comme à l’âge béni du lycée, et se demandait comment il avait réussi à mener de front ses études et sa vie de fêtard. Tout semblait plus facile à l’époque, comme si aucun de ses excès ne pouvait le ralentir ou l’affecter. La journée à la fac, un p’tit boulot dans la soirée, les rendez-vous au bar avec les copains, 4h de sommeil…
Ce rythme effréné, il l’avait tenu sans faillir durant les 5 ans qu’il avait passé à la prestigieuse école de commerce « Carlos Pellegrini » de Buenos Aires pour obtenir son diplôme. Major de promotion, il avait pu trouver en moins de 3 mois un travail dans une grande entreprise grâces aux bonnes recommandations de ses professeurs.
Mais ce n’était que le début : une fois embauché Federico savait que c’était là qu’il fallait redoubler d’effort. Il se montra assidue, sérieux, et se mit petit à petit a ne plus se focaliser que sur le travail. D’abord chef de vente junior, puis assistant du chef de produit, chargé de projet… Federico n’avait manqué aucune occasion de côtoyer chaque service pour mieux connaitre toutes les facettes de l’entreprise et ainsi grandir et devenir un atout. En dix ans il put ainsi gravir de nombreux échelons et son rêve d’atteindre le sommet était en train de devenir réalité. Il vivait maintenant dans un bel appartement dans le quartier de Recoleta situé a quelques pas du musée du livre, et d’où il pouvait entrevoir le Rio de Plata, immense estuaire où se regroupait les fleuves Paranà et Uruguay.
Le prix de ce succès était une certaine solitude qui commençait à lui peser, mais il n’avait ni le temps ni l’envie de s’engager dans des relations incertaines. Pour Federico, c’était le genre chose qui deviendrait faciles lorsqu’il aurait enfin atteint le statut social qu’il ambitionnait d’atteindre. Sa famille avait un peu de mal à le comprendre, mis à part son père qui était fier de sa réussite, mais tous respectaient son choix de vie.
Federico posa dans l’entrée de l’appartement sa sacoche, et fit quelques pas vers le salon. La vue était superbe, laissant paraitre un tapis de lumière s’étalant vers le Rio de Plata, mais le jeune homme avait les paupières trop lourdes pour s’en soucier.
Ce soir l’équipe avait voulut fêter le succès de ce qui était sans doute le plus gros contrat signé par l’entreprise depuis les 5 dernières années, et le patron avait mis les petits plats dans les grands : club privatisé, traiteur, open bar, sono a tout casser… bref le genre de festivité dont on ne ressort pas indemne, même lorsqu’on fait attention.
Car Federico s’était montré sérieux et avait consommé peu d’alcool. Mais le véritable coup de grâce était arrivé via la fatigue et le stress qu’il cumulait depuis des semaines. Il passait son temps devant son ordinateur ou en réunion, mangeait en vitesse des sandwichs ou des tamales, et surtout se mettait lui-même bien plus de pression que ce que la boite lui demandait d’en supporter. Federico savait que ses efforts allaient payer, ce qui fut confirmé lorsque le grand patron le reçut pour le féliciter avant de lui proposer de rentrer dans le comité de direction en tant que chef de produit sénior. Ça voulait dire sa propre équipe, un meilleur salaire avec un intéressement juteux, et tous les privilèges des cadres sups…
La carrière dont rêvait Federico était enfin devenue une réalité, tous ces efforts se voyaient récompensé : Il allait pouvoir s’offrir quelques vacances, et surtout reprendre du temps pour lui. Mais pour l’instant la seule chose que Federico voulait plus que tout au monde c’était de s’étaler sur son lit moelleux et de dormir jusqu’au lendemain midi.
Machinalement, il verrouilla la porte et laissa tomber la clé dans la coupelle en verre bleuté faisant office de vide poche qui trônait sur une veille commode en bois brun. Federico retira sa veste avec difficulté tandis qu’il entrait dans le salon. La fatigue lui donnait l’impression que sa veste pesait une tonne, et avec soulagement qu’il l’abandonna en vrac sur le canapé. Il commença alors à retirer ses chaussures sans se donner la peine de défaire les lacets, en poussant juste avec la pointe des pieds. Habituellement Federico détestait faire cela, car cela abimait le dessus de la chaussure a cause de la pliure induite par le mouvement, et l’arrière du talon à cause du frottement. Sauf que là tant pis pour la paire de Santoni en cuir patiné à 32 000 pesos : rien ne le retiendrait une seconde de plus que nécessaire.
Le sommeil accablait tellement Federico qu’il ne réalisa pas que sa seconde chaussure manqua de percuter Caramelo, son bougon de chat, lorsqu’il la poussa du pied pour la retirer sans se baisser. Le félin, un snowshoe américain aux grands yeux bleus dont il avait fait l’acquisition pour avoir un peu de compagnie il y’a 2 ans, fût particulièrement agacé de se voir déranger pendant sa sieste et exprima son mécontentement par un miaulement. Il bondit ensuite sur le canapé et s’installa dans l’angle en se roulant en boule, espérant ainsi être hors de portée d’une autre chaussure que son humain essayerait de lui lancer dessus.
Après avoir traversé le salon Federico parvint enfin dans sa chambre : sans allumer la lumière, les yeux à demi clos, il repéra le lit dans la pénombre, retira sa chemise par le dessus sans la déboutonner et la lança par terre, puis s’écroula finalement de tout son long sur le dessus de lit encore vêtu de son pantalon. Il s’installa à tâtons à la hauteur de son oreiller avant de enfin s’abandonner au sommeil qui ne mit qu’un battement de cil à l’emporter…
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Après plusieurs minutes, le sommeil du jeune homme se vit perturbé que par une soif vivace. C’était un contrecoup classique de l’alcool, et Federico savait qu’il dormirait bien mieux en s’hydratant. C’est ainsi que toujours à demi conscient, il se leva et se dirigea vers la cuisine qui se trouvait à l’opposé du salon par rapport à sa chambre.
Il se sentait étrangement léger, comme si chacun de ces pas était soutenu par un souffle doux mais vigoureux qui lui donnait plus la sensation de glisser que de marcher. Toute la tension nerveuse qui l’habitait s’était dissipée, mais son esprit restait brumeux et confus. Et même si sa vision ne s’était pas encore acclimatée à la pénombre, il put atteindre la cuisine sans se cogner ni sur la petite chaise au début du couloir où il s’installait le matin pour mettre ses souliers, ni contre le guéridon que sa sœur Flavia lui avait offert quand il avait emménagé et contre lequel il buttait quasi systématiquement, manquant au passage de renverser le vase qui reposait dessus.
Federico sentait tout juste la fraicheur du carrelage sur ses pieds nus tandis qu’il s’approchait de l’évier pour attraper un verre. Son premier essai ne fût pas concluant, et le récipient resta sagement sur l’égouttoir. Federico prit un instant pour s’éveiller un peu plus et tendit de nouveau la main pour attraper le verre.
… il constat alors avec stupéfaction que ce dernier était devenu aussi intangible que de la fumée.
Était-ce un contrecoup inattendu de la soirée ? le jeune homme savait que sa résistance à l’alcool avait baissé avec les années, mais pas à ce point tout de même ?
Federico retenta à plusieurs reprises de saisir le verre, mais sans succès. Il s’amusa du phénomène observant la façon dont l’objet, pourtant clairement visible devant lui, laissait passer ses doigts sans qu’il ne ressente rien de plus qu’un brin d’humidité a la surface de sa peau.
Soudain, la curiosité céda sa place à l’angoisse. Federico regard a sa main, la tournant lentement, puis l’approcha de son visage. Il sentit un profond malaise l’envahir. Le temps d’un souffle il tendit son index droit pour toucher sa joue.
A son grand soulagement, il sentit sans aucun doute son doigt toucher sa peau et relâcha un soupir.
Il reporta à nouveau son attention sur le mystérieux verre fantomatique et se demanda s’il ne pouvait pas utiliser autre chose pour s’en saisir. Federico estima que la pince a viande tout en métal se trouvant dans le tiroir a couvert ferait l’affaire puisqu’elle disposait d’un large angle d’ouverture.
Mais cette fois ci se fut la poigné du tiroir qui fût insaisissable…
L’angoisse regagna instantanément Federico : il tenta d’ouvrir la porte du frigo, mais une fois encore impossible de s’en saisir. Effrayé, il recula d’un pas, observant son électroménager avec méfiance.
« Mais qu’est-ce que c’est que… » se demanda-t-il totalement perturbé.
Federico sorti de la cuisine et vit avec horreur que s’il n’avait pas touché le guéridon s’était parce que lui aussi était devenu intangible. Il essaya de saisir le vase, la chaise de l’autre côté du couloir, et à chaque fois il lui fut impossible de s’en saisir.
Le jeune homme retourna vers sa chambre, confus et paniqué. Cherchant à retrouver un peu de logique dans tout cela, il chercha machinalement à allumer la lumière avant de constater avec horreur que l’interrupteur tout comme le mur étaient devenus aussi intangible que tout le reste de l’appartement.
C’est alors que Federico remarqua un bruit de respiration derrière lui qui le crispa de terreur. Tournant lentement la tête, puis les épaules, le jeune homme devina dans le noir une silhouette allongé sur son lit, ondulant très légèrement au rythme de sa respiration.
A pas de loup, Federico recula vers le couloir, priant pour ne pas se faire remarquer. Parcouru de haut en bas par des frissons de terreur, il avait du mal à faire des gestes mesurés, et c’est au prix d’un effort qui lui parût surhumain qu’il parvint à revenir au salon.
Se sentant hors de vue de l’inconnu, il voulut prendre son téléphone dans la poche de sa veste pour appeler de l’aide, mais la veste tout comme le smartphone étaient devenus intouchables. La peur devint plus présente encore chez Federico lorsqu’il réalisa que cela voulait dire qu’il ne pourrait pas non plus sortir puisque la poigné de la porte risquait elle aussi d’être intangible et qu’il ne pourrait pas non plus se saisir de la clé dans le vide poche.
C’est alors que Caramelo traversa nonchalamment le salon, et que Federico vit le chat passer à travers ses jambes, lui faisant réaliser ce qui aurait dû être une évidence : c’était lui qui était devenu intangible, ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose concernant le mystérieux individu…
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Aussi saugrenu que fût la situation, Federico était soulagé de voir que c’était lui-même qui dormait tranquillement dans son lit. Il s’était tout d’abord demandé s’il était mort, mais il avait pu constater avec soulagement qu’il respirait toujours, et qu’il était même agité de quelques légers mouvements myocloniques typique du sommeil et des rêves.
Le jeune homme se demanda s’il devait faire quelque chose pour réintégrer son corps, ou bien si le processus allait se faire automatiquement dès lors qu’il se réveillerait. Est-ce qu’il fallait attendre le lever du soleil ? si c’était le cas l’attente allait être longue car comme il pouvait le constater sur le réveil a affichage bleuté posé sur sa table de nuit, il était tout juste 3h du matin.
Federico ne pouvait même pas compter sur la sonnerie du réveil qui habituellement le tirait du lit à 5h30 puisque le weekend celui-ci se désactivait automatiquement.
Puisqu’il n’avait rien d’autre à faire, le fantôme débutant s’amusa tout d’abord à passer à travers les objets : le canapé du salon, le meuble de la télé… puis engaillardi par sa réussite, il tenta des actions plus aventureuses, notamment en passant sa tête a travers la porte du frigo pour voir si véritablement la lumière s’éteignait lorsqu’on la fermait. Il s’aventura aussi dans le couloir de l’immeuble, traversant la lourde porte a serrure 3 points comme si elle n’était qu’un rideau de soie.
Il put sans aucun problème réussir chaque essai, traversant sans effort murs, portes et cloisons avec tout juste une légère sensation d’humidité là ou son corps traversait la matière. Cependant, Federico se lassa vite de ce petit jeu : il voulait se recoucher, dormir et que les choses reviennent à la normale.
Il repensa à sa théorie initiale : peut être devait-il tout simplement « retourner » dans son corps ? vu qu’il pouvait se glisser à travers la matière, il devait peut être simplement se coucher sur son enveloppe charnel et ainsi rétablir la connexion entre le physique et le psychique ?
Pragmatique, Federico décida de mettre cette idée en application. Il se mit au bord du lit, du côté ou était tourné son corps, et essaya de se poser sur lui-même en adoptant exactement la même posture. Pour se faire, il tendit machinalement la main vers le matelas pour prendre appuie avant de se laisser glisser. C’est alors qu’il sentit quelque chose sur son visage, comme si… comme si quelqu’un était en train de lui écraser sa paume sur les tempes !
En un éclair l’apprentie fantôme réalisa que s’il ne pouvait rien toucher de physique, son propre corps restait tangible pour lui. Il pouvait saisir sa main et la lever, ébouriffer ses cheveux ou bien bouger sa tête.
Federico ressentait les mouvements qu’il faisait effectuer à son corps, ainsi que le contact « spectrale » qu’il s’infligeait. C’était assez étrange et déroutant, comme s’il était un écho de lui-même. Cependant, il dût admettre que ce n’était pas forcement la chose la plus étrange qu’il ait vécu ces dernières heures.
Ce rebondissement laissa le jeune homme perplexe : s’il ne pouvait pas « rentrer » dans son corps, cela voulait dire qu’il allait devoir attendre que son corps se réveille par lui-même, et que par conséquent, il allait devoir prendre son mal en patience.
Résigné, il s’installa à côté de lui-même, allongé sur le dos (mais en réalité flottant à quelques millimètres du matelas) le regard fixé sur le plafond. Il se demanda s’il était possible de dormir en tant que fantôme, et essaya de fermer les yeux mais n’y parvint pas. Federico se concentra alors sur les sons environnants. L’appartement était calme, et le seul bruit hormis celui de la respiration de son corps était le ronronnement du compresseur du réfrigérateur dont il percevait les vibrations au loin. De temps à autres, le bruit d’une voiture qui passait brisait le silence de la nuit, puis disparaissait au loin sans qu’on sache dire exactement à quel moment exactement il avait cessé.
Federico pensait qu’il était comme ce début de silence : pas tout à fait éteint, mais pas vraiment là pour autant. Un esprit en demi-teinte, imperceptible et silencieux, mais bel et bien là malgré tout.
L’apprentie fantôme commençait presque à apprécier son nouvel état tant il se sentait calme et reposé. Il n’avait jamais réalisé à quel point son corps physique pesait sur lui, pas en termes de poids strict, mais plutôt en termes de tension et d’énergie. En cet instant, Federico était complètement relâché, comme libéré des sensations qui usuellement troublaient sa perception des choses. Oui il y’avait clairement une différence, et le jeune homme comprit ce qu’entendaient ceux qui pratiquaient la méditation et évoquait ce sentiment de plénitude et d’harmonie. C’était un effacement de soi qui le ramenait à l’essentiel.
Vraiment dommage de ne pas pouvoir en profiter pour dormir…
Federico s’abandonna au calme et laissa vagabonder son esprit. Il fixait le plafond et essayait d’en voir les plus infime détails. La moindre fissure ou bien chaque petite différence dans les pigments de la peinture lui permettait de se focaliser et de se maintenir dans cet état second lui procurant un immense bien être.
Et puis il vit une trace noire.
Non, ce n’était pas vraiment une trace, c’était plutôt une volute grisâtre, un pourtour chaotique visible seulement parce qu’il était totalement concentré sur son observation. Federico se redressa et essaye de suivre la volute du regard. Partant du seuil de la porte, elle avait glissé tout le long du plafond en gracieuses arabesques avant de finir juste au-dessus du jeune homme et de son corps endormi.
En la suivant, Federico constata qu’il n’y’en avait pas qu’une seule, mais des dizaines, et que toutes convergeaient vers le seuil de la chambre, chevauchant le chambranle de la porte pour disparaitre dans l’ombre et l’obscurité du couloir menant au salon.
Le jeune homme s’avança précautionneusement, le regard fixé au plafond, traquant sa proie comme un chasseur. Au loin, un bruit de voiture commença a ronronner tandis que la lueur des phares rayonna faiblement a travers la grande fenêtre du salon, laissant une onde de lumière s’aventurer dans le couloir. La timide lueur fut cependant suffisante pour que Federico ait le temps de voir un épais nuage de fumée noire ramper sur le plafond et se répandre partout alentour.
L’apprenti fantôme se précipita dans le salon et suivit la fumée jusque dans la cuisine.
Impuissant, Federico vit un rideau de flamme en train de dévorer le plan de travail de part en part, s’attaquant aux appareils électriques et se nourrissant de tout ce qui pouvait tomber sur son chemin : les livres de cuisine, une boite de céréales oublié sur le comptoir ou bien le sachet de croquette de Caramelo…
Le jeune homme voulut se précipiter sur le robinet pour tenter d’éteindre les flammes, mais il se rappela aussitôt sa condition de spectre et pesta a voix haute. Il fallait agir vite, sinon c’était tout l’appartement qui allait être dévoré par les flammes, et peut être même tout l’immeuble.
Federico ne pouvait plus attendre que son corps se réveille de lui-même, aussi décida t’il de passer aux grands moyens. Il se précipita dans la chambre, agrippa son corps nonchalant par les épaules et commença à le remuer de toutes ses forces en hurlant :
« Aller réveille-toi imbécile ! y’a le feu ! Y’A LE FEU ! »
Mais même si son corps spectral ressentait les secousses, le corps physique du jeune homme resta endormi. L’apprenti fantôme s’infligea plusieurs gifles monumentales, tira sur ses cheveux, hurla, pesta, mais rien n’y faisait : il restait totalement endormi.
Federico s’attrapa par les pieds et tira son corps hors du lit, le faisant lourdement tomber sur le linoléum imitation bois. Dans un éclair de lucidité, il réalisa qu’il aurait pu gravement se blesser lorsque sa tête tapa lourdement contre le sol, manquant de peu l’épais cadre en bois massif du lit. Il s’attrapa donc plutôt par les épaules tout en essayant de maintenir sa tête droite.
Le tapis de fumée noire s’intensifiait au-dessus de Federico : il allait devoir mettre son corps à l’abri a défaut de pouvoir le réveiller, mais surtout trouver un moyen d’arrêter le feu qui était maintenant clairement visible de l’autre bout de l’appartement.
Le jeune homme glissa son corps vers le salon, puis ensuite vers l’entrée ou il serait le plus éloigné possible de la fumée et des flammes. Le spectre retourna jeter un œil a la cuisine, bien content d’être immunisé grâce à son état de fantôme. Il entendit alors les miaulements apeurés de Caramelo.
Le chat s’était réfugié dans le coin de la cuisine où se trouvait son bol d’eau et n’osait plus faire un geste, terrifié qu’il était par les flammes qui hurlaient autour de lui. Federico se pencha sur lui mais ne put le saisir pour l’éloigner du danger. Il se mit à quatre pattes et essaya de lui faire signe. Son regard croisa alors celui du félin qui le fixait et qui miaula de peur, comme s’il l’implorait à l’aide.
Bouleversé et impuissant, Federico se redressa et se mit à faire les cent pas au milieu de la fumée et des flammes. Il remarqua alors que la fumée suivait ses contours pour peu qu’il bouge assez vite. Oh bien sûr ce n’était pas aussi net que s’il avait été matériel, mais sa forme spectrale affectait les mouvements d’air de façon suffisamment significative pour qu’il tente quelque chose.
Federico recula à l’autre bout de la pièce, prit de l’élan et fonça sur le chat en ouvrant le bras pour accumuler le plus de fumée sur lui. Horrifié le chat vit une masse de fumée formant une silhouette humanoïde qui se jetait sur lui a toute vitesse. Malgré la peur, l’instinct animal de Caramelo lui donna une énorme décharge d’adrénaline lui permettant de trouver le courage de bondir à travers les flammes. Le félin, légèrement roussi, se précipita à travers la porte de la cuisine et fonça sous le canapé du salon pour trouver refuge.
Le spectre poussa un soupir de soulagement, mais il était conscient qu’il n’avait fait que gagner un peu de temps. Il retourna vers l’entrée et vit que la fumée était en train d’envahir aussi cette zone de l’appartement.
Federico souleva son corps, et essaya d’attraper la clé dans le vide poche. Il arriva difficilement à tenir son corps debout tout en utilisant ses doigts pour bien attraper la clé, mais essaya ensuite qu’il ne pourrait jamais mettre la clé dans la serrure et a la tirer tout en maintenant son corps debout. S’il posait son corps a terre, son bras était à peine assez long pour atteindre la poigné, mais surtout il ne pourrait pas se dégager du passage…
Federico se pencha sur son corps pour essayer à nouveau de le réveiller. Mais cette fois encore, ni les cris ni les gifles ne réussirent à le sortir du sommeil. Le jeune homme tenta alors une manœuvre désespérer. Il traina son corps vers le salon et le hissa tant bien que mal sur le canapé ou était sa veste. Dedans il y’avait son téléphone, ce qui lui permettrait d’appeler de l’aide. Federico entreprit alors de placer sa main dans sa poche, puis ensuite de guider a tâtons ses doigts pour se saisir du smartphone. Sauf que voila, ne pouvant sentir les choses que par procuration, l’opération fut délicate, d’autant plus que Federico commençait à se sentir mal. Il avait la tête qui tourne, et ses pensées devenaient confuses. Mais surtout, il sentait que son corps devenait pensant et engourdit…
Il comprit que son corps était en train d’étouffer : en le plaçant sur le canapé il lui faisait respirer plus de fumée que quand il était allongé ce qui lui faisait subir ces contrecoups. En urgence, le fantôme tira le téléphone de la veste et le laissa glisser sur sol avant de pousser son corps sur le tapis.
Le corps de Federico put de nouveau respirer convenablement, redonnant de l’élan au spectre qui sans attendre se penchant sur son corps pour rapprocher le téléphone. Une fois fait, il attrapa sa main droite, déplia son index, et commença à composer le numéro des urgences. La fumée gagnait du terrain et ce n’était qu’une question de minutes avant qu’il ne perde totalement conscience.
Il fallut moins de deux sonneries pour qu’une voix se fasse entendre dans le haut-parleur :
« Service des urgences de Buenos Aires, je vous écoute ? »
Un immense soulagement traversa Federico qui commençait à voir le bout de ce cauchemar. Il se pencha et parla le plus fort possible :
« Au secours ! un incendie s’est déclaré chez moi, je suis coincé ! j’habite… »
« Allo ? pouvez-vous parler plus fort je ne vous entends pas ? »
Quel imbécile… évidemment que ça ne servait à rien d’appeler les secours puisqu’il ne pouvait pas leur parler !
De désespoir, Federico hurla en espérant pouvoir se faire entendre. Mais ses cris devenaient de simple balbutiement que son corps essayait maladroitement de formuler. Les flammes étaient maintenant en train de glisser le long du mur du salon, se régalant des photos encadrées et des reproductions à l’échelle des œuvres de Klimt que Federico adorait.
Abattu, le fantôme réalisa qu’il avait peut-être déjà commencé son existence dans l’autre monde et qu’il allait assister impuissant a son propre décès. De rage, il tomba à genoux accablé de peur et de rage. Il vit alors le pauvre Caramelo, prostré sous le canapé, qui commençait à s’approcher de son corps comme pour y trouver une quelconque protection.
Le petit chat était sa seule compagnie, et Federico se senti coupable de son sort. Comme tous les chats, Caramelo faisait sa vie sans se soucier de l’humain avec qui il cohabitait. Pourtant, il lui arrivait de se blottir contre Federico et de lui réclamer des gratouilles, ou bien de rester à ses côtés sans bouger lors des longs moments qu’il passait à travailler devant l’ordinateur.
Federico réalisa alors l’importance du félin dans sa vie agité, et regretta de ne pas avoir été plus attentionné pour cet être qui ne le jugeait pas, ne lui reprochait pas son acharnement au boulot, mais surtout ne lui demandait aucun autre engagement que de le nourrir et de l’aimer un petit peu.
Le jeune homme, résigné sur son sort, tourna son corps sur le côté en direction du chat, puis attrapa sa main et l’approcha pour lui faire une ultime caresse, et peut être même le serrer contre lui tandis que la fumée le plongerait dans le dernier sommeil…
Mais il faut croire que ce n’était pas du tout du gout de Caramélo !
A peine la main de Federico fut à sa portée que Le félin mordit l’index de son maitre avec force tout en lui griffant le dessus de la main. La douleur fit sursauter Federico qui poussa un cri tandis que le pincement de l’animal se répandit tout le long de son système nerveux.
Federico se sentit alors lourd, et assaillit par des milliers de signaux physiques. Il sentait l’adrénaline qui le parcourait, mais surtout il sentait son souffle parasité par les odeurs âcres et sèches qui lui montaient au nez. Il sentit alors la douce fourrure de Caramelo se coller contre son visage tandis que l’animal se frottait à lui. Il était allongé sur le côté, la main en sang.
Le jeune homme se releva d’un bon, attrapa le chat qui n’offrit plus aucune résistance et se dirigea vers la porte d’entrée. Un rideau de flamme lui barrait le passage, mais avec sang-froid, Federico traversa l’obstacle en se couvrant la tête et les épaules avec sa veste, plaquant Caramelo contre lui pour faire bouclier de son corps. Il ramassa la clé qu’il avait laissée à terre par dépit puis ouvrit la porte en un éclair. Federico jubilait : ce qui avait été un calvaire sous sa forme spectrale s’accomplissait sans effort. Il se précipita vers l’alarme a incendie qu’il activa d’un violent coup de coude, puis posa Caramelo avant d’attraper un des extincteurs du couloir et retourner affronter les flammes…
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Finalement, Federico avait réussi à juguler l’incendie avant qu’il ne prenne plus d’ampleur, et put sauver la majeure partie de ses biens. Lorsque les pompiers arrivèrent, ils trouvèrent le jeune homme prostré dans son canapé roussi en train de cajoler son chat qui lui de son côté ne semblait pas vouloir quitter son humain, tout blotti contre lui qu’il était.
Ils terminèrent d’éteindre ce qui restait de flammes et s’assurèrent que l’incendie n’avait pas créer de risque, notamment sur l’installation électrique. Par précaution, ils invitèrent Federico à couper le courant et à vivre ailleurs le temps de faire des travaux dignes de ce nom.
Quelques jours plus tard, le dossier de l’assurance révéla que le départ d’incendie avait été causé par un court-circuit du compresseur du réfrigérateur. La cause en elle-même de ce court-circuit resta un mystère.
Federico, qui à la suite de cette mésaventure avait immédiatement posé des congés, s’était installé dans un hôtel de haut standing proche du bord de mer pour se remettre de ses émotions. Il aimait rester allonger sur un transat à se faire mordiller par le soleil, et essayait, mais en vain, de retrouver la plénitude qu’il avait ressenti en étant un fantôme.
Il se demandait si tout cela était finalement vrai, s’il devait en parler, que ça soit à un ami ou un médecin ?
Puis finalement, il réserva cette histoire uniquement à Caramelo qui pour seule réponse lui adressa un bien étrange regard…