Ce soir j’ai vu quelque chose de beau.
Oui, malgré l’horreur, malgré ce sentiment que j’ai senti peser sur ma poitrine et qui m’empêchait presque de respirer, j’ai vu quelque chose de beau.
C’est peut-être le contraste qui fait ça, mais rien n’est plus brillant dans une nuit sombre qu’un petit éclat scintillant.
Ça m’a surpris comme un éclair, explosant sur mon écran tandis que mes yeux fatigués essayent de négocier avec moi pour que j’aille me coucher. Mais là c’était plus possible, parce que ce moment il allait compter, il allait s’enraciner en nous et redistribuer les cartes.
C’est rare les moments comme ça, et c’est très fugace. Ce sont des étoiles filantes qui brûlent fort mais partent vite.
Alors moi forcément je me dis que je devrais écrire, parce que je suis encore un peu habité par tout ça, et qu’il serait bon d’en faire quelque chose vite, vite avant que ça passe, vite avant que des connards nous disent quoi en penser, avant que l’on en fasse des t-shirts et des calendriers.
Ce moment-là je m’accroche à lui du bout de mon insomnie. Je me dis que tant que j’ai pas fermé les yeux, j’y suis encore, tant que j’ai encore ce sentiment qui me pèse sur la poitrine, j’y suis encore.
Ce moment il est plein de bruits, de fureurs, de peurs, de peines, de souffrances. Forcément, ces moment-là ne naissent pas dans la joie. Y’a des centaines de gens pour qui ce soir sera le pire vendredi 13 de leur vie. Des gens qui perdent à tout jamais un papa, une maman ou un enfant. Des gens qui perdent des amis, des supers potes, des meilleures copines, et peut être un peu tout ça en même temps.
Sur les réseaux je vois passer des visages, et des gens demandent « l’avez-vous vu ? » « Est ce qu’elle va bien ? ».
Ce que je sais c’est que forcement ce soir, j’ai vu passer le visage de gens qui ne sont plus là, et dont les familles vont être frappées par une horreur sans nom.
J’entends que les rues sont vides, que les gens fuient, qu’ils sont perdus, qu’ils n’ont nulle part où aller. C’est effrayant cette idée : être piégé dehors, alors que l’on entend partout qu’il y’a des hommes armés qui font feu aveuglément.
J’en suis à un point ou j’ai presque peur, alors que je suis très loin de tout danger, mais que voulez-vous c’est ça aussi la peur : c’est idiot et pas très réfléchit en fin de compte. Je pense alors à mes proches, et je me demande qui pourrait être là-bas. Je vois passer des messages : ouf tout le monde va bien.
Je sais que ce soir, aucun Arrow, aucun Dardevil ou aucun Avengers n’est disponible pour faire le job. Heureusement, on peut compter sur les mecs qui font ça pour de vrai, qui meurent pour de vrai, mais qui sauvent pour de vrai.
Il y’aura encore de la peur, mais comme je vous le disais, et malgré tout ça, j’ai vu quelque chose de beau ce soir.
J’ai vu des gens ouvrir leur porte à des inconnus pour les protéger et ne pas les laisser dehors et des taxi ramener des gens chez eux, pour ne pas qu’ils soient en danger. Vous vous rendez compte ? On se protège les uns les autres, on a pas encore barricadé nos maisons en attendant la fin du monde. On veille les uns sur les autres, on s’aide, on s’encourage, on se soutien, et lorsque des connards essayent de rebondir sur cette histoire pour faire leur beurre, on les envois paître illico.
C’est toujours dans ces moment-là qu’on voit apparaître le meilleur des gens. On prend conscience de ce qui fait un pays et une culture, on se rend compte que ce n’est pas une couleur de peau, ou le fait de manger des kébabs. Ce qui fait notre pays et notre unité, c’est qu’au-delà des milles facettes de la connerie ordinaire, nous distinguons encore et toujours le Bien du Mal, et que lorsque la situation est aussi radicale, nos esprits sont tournés vers le bon adversaire. Nous sommes alors capables du meilleur et du plus éblouissant des prodiges : celui de déplacer les montagnes par la simple force de notre collectif. On dit que « L’ensemble est supérieur à la somme des parties » et bien ça ne m’a jamais semblé plus vrai que maintenant.
Sur les réseaux, je vois passer une photo qui date du début d’année, de cet autre moment fort qui nous a tous déjà frappé. C’est une petite fille assise sur les épaules de son papa (enfin je suppose) et qui tiens une pancarte avec écrit : « les méchants : vous êtes des grosses patates molles. Jeanne 5 ans ». Je doute qu’elle ait réalisée exactement le sens de son message, mais il était d’une incroyable puissance.
Je vois passer une photo du world trade center ressuscité dont le mat sur le toit est allumé en bleu blanc rouge.
Je vois des images du monde où des milliers de gens défilent en signe de soutien, allument des bougies, prient. Et même sans ces images, je sais qu’ils sont encore plus nombreux à simplement penser à nous.
C’est bientôt le matin, sans m’en rendre compte le moment est en train de s’en aller. Je ne pourrais pas le retenir plus, maintenant il faut repartir et continuer.
Heureusement comme toujours, demain y’aura de l’avenir.