Quant elle était petite fille la vie était plus simple : papa, maman, grand frère, papy, mamie. Elle avait sa place et ne devait rien disputer à personne. Évidement la famille est une cage, mais malgré tout c’est une cage du genre dorée, chaleureuse et ou on se sent le plus souvent bien.
Sauf qu’un jour elle se réveille et n’est plus une petite fille. Et à partir de ce jour là tout devient compliqué. Chaque choix de sa vie devient un engagement, même un truc aussi insignifiant que la couleur de sa chemise. Elle sent en permanence que les options ce résument à endosser un archétype. Alors elle essaye, à grand coup de magazines de trouver dans quelle case elle peut rentrer. Pas à pas elle se construit une identité faite de brick et de broc histoire de retrouver une place.
Et au final elle devient folle car ces morceaux n’ont rien à faire dans le même puzzle. Ils se contredisent, s’annulent ou bien sont récursif. Mais par dessus tout, ses choix n’en sont pas, ses attitudes et ses réactions, tout est factice.
Aujourd’hui elle sait que les gens se trompent à vouloir entrer dans les cases des questionnaires, et que pour trouver son bonheur, elle doit chercher autre chose. Mais il faut aussi que les autres se bougent : qu’ils arrêtent eux aussi de la mettre dans une case.
Alors chaque matin, chaque geste devient militant. Elle devient le soldat de sa cause. S’affirmer au delà d’être une femme, d’être de telle ou telle couleur, d’être de telle ou telle religion. Elle brandit en étendard les cases ou on voulait l’enfermer, transformant sa prison en arme.
Mais malgré toute sa volonté, sa détermination, elle frissonne toujours quand un groupe de gars bruyant l’aborde dans le métro et la traite de salope parce ce qu’elle ne répond pas à leurs appels. Elle qui est pourtant si forte mentalement, elle qui en a déjà tellement vu, tellement prit dans la tronche, elle se fissure un peu plus à chaque coup, chaque mot, chaque regard.
Ce regard c’est parfois le mien, celui du type anonyme assit au fond du wagon son casque sur les oreilles, un bouquin ou un magazine en main. Des fois je m’offre ce luxe prédateur de la regarder parce que je la trouve incroyablement belle. Je me dis que ça serait formidable de lui parler, qu’elle est sans doute sympathique et intéressante. Pourtant au lieu d’une parole je préfère hypocritement lui offrir un regard fuyant. Je me doute de ce qu’elle doit ressentir : l’impression d’être épié, déshabillée du regard par un type qu’elle pense sûrement être encore un autre salopard. Elle n’a pas si tord que ça, car même si je ne me montrerai jamais discourtois, je ne la considère pour autant que comme une chose qu’on peut regarder pour « le plaisir des yeux ». Et si je fuis son regard ce n’est pas pour la laisser tranquille, mais par lâcheté, parce que finalement je ne me sens pas de soutenir sur elle ce regard prédateur si jamais elle m’y confrontait et m’obligeait a l’assumer.
Elle passera le reste du trajet à regarder filer le paysage. Cela me permet de la regarder dans le reflet de la vitre, et d’imaginer à quoi elle peut bien penser. Il passe dans ses yeux un milliers de mots, du moins c’est ainsi que j’aime à me le représenter, qui me racontent ses petits combats de tous les jours. Je trouve qu’elle a du courage, puis j’ai un rictus en me disant qu’elle doit bien s’en moquer de ce que je pense d’elle.
J’ai fini par lui inventer une vie au delà du wagon de train, au delà de son grand sac beige qu’elle serre sur ses genoux pour ne pas prendre trop de place. Une vie pas forcément plus belle, mais une vie ou je lui promet un happy end. Dans cette vie là, je pourrais l’aborder et lui dire tout cela. Je pourrais lui dire en face que je la trouve irrésistiblement fascinante, parce que dans cette vie là ça ne ferait pas de moi un queutard qui se met sur la ligne de départ d’un plan Q, cette vie là trouverai normal que deux personnes se parlent, comme ça, juste parce qu’a force de se voir tout le temps ce petit lien monotone leur donne envie d’un petit peu plus. Juste quelque chose d’humain, et de finalement très simple, cette envie naturelle qu’on à tous d’aller vers ceux qui dégagent cette aura bienveillante.
Et si d’aventure j’en ai l’occasion, je ne me contenterai pas d’imaginer, je ne me contenterai pas de bonnes intentions, mais j’essayerai d’être un peu plus ce qu’elle pourrait espérer de ce type anonyme avec son casque sur les oreilles au bout du wagon : qu’il soit quelqu’un qui n’oublie pas que pour elle chaque choix est un acte militant parce que ce monde veut l’enfermer dans des cases. J’aimerai être simplement présent pour la voir mon Héroine en train de gagner sa lutte avec le quotidien, la voir et juste lui dire qu’elle m’inspire, que ce qu’elle fait non seulement rend le monde meilleur, mais que son exemple me porte a devenir meilleur, parce que croire en ce qu’elle désir sans faillir, être humble mais rester digne, ça c’est quelque chose dont je ne me sentirai pas capable si je ne la voyais pas elle, qui parait pourtant bien frêle, y parvenir.
Tandis que le torrent de mot me rattrape et s’écroule sur moi comme une vague, elle descend a son arrêt comme a l’accoutumé. Elle attend devant la porte, prete pour une nouvelle bataille contre… c’est fou : elle a regarder vers mon reflet dans la vitre, et pendant une seconde j’ai eut l’impression qu’elle me souriait !