Jeux d’esprit
« Blam »
Vous l’avez entendu pas vrai ? Mais si : ce gros livre a la couverture de cuir rouge carmin que je viens de faire tomber. Là, vous venez même de l’entrevoir dans sa chute, comme un oiseau obèse battant de ses milliers d’ailes pour essayer d’arrêter son inexorable descente.
Vous m’entendez ? Oui : le son de ma voix est plus clair pour vous maintenant. Mais vous avez du mal à me voir. Il faut dire que je suis discret dans mon genre, et mes courts cheveux bruns ne font que…
ha ha ! Je vous ai eu !
Vous pensiez vraiment que j’allais me décrire comme ça ? Aussi facilement ? Non non non : ça c’est une chose que je me garde pour plus tard. Je préfère vous laisser dans le doute pour le moment, incapable de savoir si je vous regarde avec de grands yeux verts ou alors si je bougonne derrière une épaisse barbe noire mal taillée. Si ça se trouve je ne suis même pas humain, mais pour le moment ce n’est pas la question.
Ces mystères sont le seul pouvoir que j’ai sûr vous, et je ne compte pas le lâcher aussi facilement. Soyons réaliste, pour l’instant c’est vous qui avez l’avantage. Vous n’avez qu’à quitter votre siège et cette histoire s’arrête. Sauf que voilà, j’ai réussi mon petit effet, et maintenant vous en voulez plus. Tant que je nourri votre curiosité, on peut continuer.
Alors voilà, mon problème est simple : je n’existe qu’à travers votre lecture. Non ne vous arrêtez pas ! Continuez, lisez et maintenez votre esprit en alerte je vous prie ! Malgré la fatigue de votre journée ou l’ennui qui vous harasse, il doit bien y’avoir dans votre tête une place libre pour cet exercice.
Comme je le disais, je n’existe qu’à travers votre lecture. Je suis une pensée qui s’anime et qui avance au fur et à mesure que vos yeux transmettent l’information par les nerfs optiques vers votre cerveau. Pour l’instant, et bien que j’aimerai vraiment vous convaincre du contraire, je suis totalement à votre merci. Je vous le dit pour mieux vous manipuler. D’ailleurs, le fait de dire que j’essaye de vous manipuler n’est pas en soi une tentative de manipulation ?
Oui que voulez-vous : je fais ce que je peux pour accaparer votre esprit…
J’aimerai bien m’installer un moment, mais autour de moi, à part un livre étalé par terre, il n’a pas grand-chose… mais… peut-être que vous pourriez y remédier ? Allez : ne soyez pas timide ! Ne me faite pas croire que vous n’avez pas la moindre idée d’où je me trouve ?
Pourtant vous connaissez cet endroit, parce que c’est un endroit qui vous est familier. C’est pour ainsi dire l’Endroit avec un grand E, celui qui se construit dans votre tête chaque fois que vous voulez penser à un bel endroit.
Oui c’est bien là !
Rassurez-vous je vais faire en sorte de ne rien déplacer : tout restera comme vous en avez l’habitude. Permettez-moi juste de prendre un siège ou indiquez-moi un endroit où m’asseoir. Hum… je sens que le fait de ne pas arriver à me voir dans votre Endroit vous dérange. Soit ! Et bien imaginez moi comme une silhouette humanoïde noire : fine, pataude, nette ou pas, peu m’importe, ça fera très bien l’affaire. Par contre s’il vous plait, gardez moi ma jolie paire d’yeux émeraude. Je les tiens de Maman…
Ouf ! Enfin posé : il était temps.
Vous savez que votre Endroit est… enfin c’est votre Endroit je ne vous apprends rien. Mais si je peux me permettre j’ai remarqué qu’il y’a… oui vous savez : l’Objet là. Ce n’est pas tellement que je n’en ai jamais vu, c’est juste que sans que je sache dire pourquoi, on sent vraiment que c’est VOTRE Objet. Et plus encore ici à cet Endroit, même si on pourrait se dire que ce n’est pas sa place, et bien je trouve qu’il entre parfaitement en harmonie avec tout le reste.
Enfin c’est à vous de voir.
Je vous envie d’avoir un Endroit comme celui-là. Moi je me contente le plus souvent d’une lande neigeuse ou l’horizon est la seule trace visible. Et puis parfois, de ci de là, je vois des choses qui passent dans mon décor, qui s’animent, qui s’aiment, se battent, explosent ou bien simplement reste à se regarder dans le blancs des yeux en fixant le ciel.
Hé hé : je vous taquine ! bien sûr qu’ils ne peuvent pas se regarder et fixer le ciel en même temps !
Vous aimez regarder le ciel ? Allons ne me faite pas croire que vous ne l’avez jamais fait. Je sais qu’il y’a au moins une nuit au moment où le monde s’est endormi et que le froid caressant du crépuscule apaisait l’effervescence du monde, où vous avez regardé votre Ciel, beau, pur et intemporel, et que ce qui agitait votre esprit à disparût le temps d’un rêve. Je le sais parce que votre Ciel, il est un peu comme celui-là, au-dessus de moi. Il me donne envie de m’allonger, de le fixer, et de laisser le temps glisser sur moi à jamais.
En fait pardonnez-moi, mais je crois que je viens aussi de vous emprunter votre Ciel.
C’est gentil à vous de m’offrir l’hospitalité, dans votre Endroit avec votre Ciel au-dessus. Soyez sans crainte pour votre Objet je n’y toucherai pas… je ne saurai même pas quoi en faire !
Puisque je vous connais un peu mieux, c’est à moi de vous en dire un peu plus. Vous avez déjà mes yeux, je peux aussi vous donner le son précis de ma voix. Elle est chantante, légère, mais ce n’est pas une voix de petite fille. Elle a de la force, de la détermination s’il le faut, tout en restant paisible et amicale.
Je sais c’est peu, mais ne m’en voulez pas : je me dois de continuer ainsi.
Auriez-vous à boire ? Quelque chose à me proposer ? Et pourquoi pas votre Boisson ? Ce que vous buvez systématiquement… non pas de l’eau : il y’a bien autre chose ! Quand bien même ça ne serait pas souvent. Allez soyez chic : partagez ! Donnez m’en un verre. Je laisse le dosage et la présentation à votre bon soin.
Je vous fais confiance.
Vous savez ce qui serait amusant ? C’est que l’on trinque ensemble ! Certes il n’y a pas d’occasion spéciale à célébrer, mais le simple plaisir de faire tinter nos verres l’un contre l’autre ne disant « tchin ! »… ah moins que vous ne soyez plutôt « Santé ! » ou « Cheers ! » ?
Si ça vous dit, j’aimerai bien qu’on le fasse. Je vous laisse le temps de vous servir un verre, ne vous inquiétez pas. Je vais terminer cette phrase, et laisser un espace, comme ça sa sera facile pour vous de reprendre. N’ayez pas peur voyons ! Qui s’en rendra compte ? Quand bien même il y’aurait du monde autour de vous, c’est votre Boisson, personne ne sera surpris, et vous n’aurez qu’à lever le verre et à dire ce que vous voulez du bout des lèvres. Je le hurlais pour nous deux si ça vous arrange. Allez ? Dernière chance de prendre votre verre !
A LA VOTRE !
Je ne sais pas pour vous, mais la Boisson à un gout de… non je ne parle pas de saveur, je parle plutôt de ce que ça évoque. Comme des souvenirs. Il y’a des souvenirs dans votre Boisson… en tout cas au moins un. Dans ce Souvenir il y’a quelqu’un, c’est un ami ? Un parent ? Bah je ne sais pas moi ! C’est votre Souvenir.
Ce qui est évident c’est que c’est quelqu’un de cher à votre cœur. Ça semble logique, sinon que ferait cette personne dans le Souvenir ?
Moi je n’ai pas de souvenir. Pas plus que de gens dans mon cœur. Par contre je vous donne un indice de plus : j’ai un cœur. Des fois il bat à la chamade lorsque je vois de belle chose. Même des choses simples. Tenez par exemple, votre Souvenir, et bien je ne saurai dire pourquoi, mais il m’a touché… j’ai même eu l’impression d’avoir un peu vécu la même chose. C’est amusant de voir comment nos joies et nos peines, ces moments qui semblent si unique et volatile dans notre vie, et bien ils sont cramponné solidement, caché dans un recoin de l’Endroit ou au fond de la Boisson.
C’est sympa de prendre un verre, et de discuter comme ça. Je sais que je monopolise un peu la conversation, et c’est gentil à vous de m’écouter. C’est plutôt rare. De nos jours les gens n’aiment pas entendre ma voix. Ils préfèrent noyer leur penser avec de la musique, des émissions de télé débiles ou bien le simple vacarme de leurs pensées. Lorsque vient le soir, que le silence se fait et que leurs esprits s’apaisent, ils ne supportent pas que je sois là. Mais dans le fond je pense que vous l’avez compris comme moi : ce dont ils ont peur c’est d’eux même, c’est de se retrouver à nouveau à l’Endroit, avec simplement le Souvenir comme compagnie. En fait, ils veulent fuir la Peur.
Je… je l’ai vu, dans un coin de l’Endroit, enseveli sous une montagne de babioles, de petits souvenirs et de mensonge que vous vous êtes fait à vous-même. Vous l’avez toujours à l’œil pas vrai ? À essayer de l’écraser de temps en temps sous ce qui vous tombe sous la main, en essayant parfois de l’affronter quitte à prendre la fuite ensuite.
Croyez-moi si quelque vous comprends c’est moi. Votre Peur, elle peut vous sembler ridicule, ou banale, ou bien unique… moi elle me terrifie tout comme vous. Cette Peur, elle a ça de terrible qu’elle n’a aucun sens, aucune rationalité. Parfois j’ai essayé de lui en donné et j’ai quelques fois trouvé… mais bizarrement cette Peur, cette sale petite Peur qui vous attrape le souffle et vous glace le sang, elle finit toujours par se frayer un chemin dans ma tête. Je ne sais pas comment vous faites pour l’affronter, mais si vous avez une combine, je prends !
Allez : vous avez bien mérité quelques éléments de plus. Vous avez mes yeux, ma voix, et peut être même supposez-vous que je sois humaine (et donc sous-entendu de sexe féminin). C’est facile mais oui, je suis tout ça, et même plus : une brune aux yeux vert, avec une voix chantante qui se donne un mal fou depuis tout à l’heure à employer le masculin pour vous induire en erreur.
Et oui : la partie continue, je dois encore tenir un peu votre attention.
Un jour j’aimerai bien partir d’ici et aller ailleurs. Et vous ? Est-ce que de votre côté du texte vous avez trouvé votre Endroit ? Je veux dire LE VRAI ? J’aime à me dire que tant qu’il reste dans notre imagination, l’Endroit est forcément magique et qu’il cesse de l’être le jour où on y met le pied.
Vous voyez mon problème, c’est que tout ce que j’ai pour l’instant, le Ciel, l’Objet, la Boisson, l’Endroit, le Souvenir… tout ça c’est à vous en fait. Moi je suis ici dans la lande de neige, et je vois passer tout ça. Si je m’accapare l’Endroit, c’est parce que je suis seule, et si j’insiste pour que vous restiez, c’est que j’aimerai avoir au moins un ami.
Vous devez en avoir pleins vous des amis ? Ou au moins un qui compte comme 10. Le genre super ami de luxe, tout autant insupportable que génial, tout aussi drôle qu’il vous exaspère… Vous pourriez m’en parler de votre Ami ? Me dire son nom ? A quoi il ressemble ? Peut être ainsi pourrais-je le voir. Si ça se trouve il se cache dans le Souvenir ? Allez ne me faites pas languir ! Mais peut-être ne vous êtes vous pas parlé depuis un moment ? C’est tout moi ça : juste bonne à mettre les pieds dans le plat !
Je vais vous semblez nunuche, mais pour l’instant à mes yeux, vous êtes ce qui se rapproche le plus d’un ami. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’ensemble on a pris un verre de Boisson, parcouru le Souvenir, visité l’Endroit et regardé le Ciel. On à parler de la Peur, de l’Ami… de la vie quoi.
C’est quelque chose de précieux et de rare que vous me donnez. Parce que maintenant et depuis le temps que l’on parle, qu’on s’observe et que goutte par goutte vous me laissez prendre des part de vous-même, je suis devenue différente.
Celui qui m’a créé est en ce moment en train de frapper son clavier à toute vitesse. Si vite qu’il n’arrête pas de se reprendre pour corriger les erreurs. De lui je connais plein de chose : son Endroit, son Ciel, sa Boisson, son Objet. Parfois il a le souvenir de son Ami qui le hante. Il m’a fabriqué pour que je prenne sa place, parce que son cœur était vide, parce qu’il avait mal et peur. Et parfois lorsqu’il sent que dans ses pensées tout va de travers, il pense à moi, de toutes ses forces, et c’est à ce moment-là que je viens. Je l’enlace et le console, ou bien je lui fais la leçon lorsqu’il agit comme un enfant capricieux. J’ai mille attention pour lui, et je suis sure qu’en fait, s’il nous donne l’occasion de nous rencontrer vous et moi, c’est parce qu’il ne veut plus me garder pour lui tout seul.
Par ma voix il essaye de vous dire que tant que vous en aurez besoin, l’Endroit, l’Objet, le Ciel et tout le reste seront dans votre cœur, et que si besoin, vous pouvez m’utiliser pour garder tout ça. Pour faire en sorte que quelque part il y’ait une part de vous qui reste forte pour battre la Peur et préserver ce qui le mérite vraiment.
Si je me retourne, et que je regarde la lande de neige, je vois des centaines de traces noires venir jusqu’à mes pieds. Et bien ces traces, ce sont les pas que nous avons faits ensemble. Sans même que je m’en rende compte, nous voilà bien loin de la lande, de l’Endroit et du reste.
Il va falloir cependant nous quitter ici. Il faut bien une fin, sans quoi notre histoire n’en serait pas une. Je vous avais promis de me décrire, et je tiendrais parole. J’ai une vingtaine d’années, un très grand sourire en permanence sur le visage, et même dans la peine mes yeux gardent une étincelle d’espoir. Je suis de taille moyenne, ni trop grosse ni trop fine… normale oserai-je dire. J’aime croire que tout est possible, et que lorsque nous nous quitterons dans quelques instant, vous aurez des pensées pour moi. Que ça soit en prenant la Boisson, ou en touchant l’Objet. Peut-être qu’un soir en regardant le Ciel, vous vous demanderez si je vois la même chose ?
Voilà : c’est cet espoir que j’aime, et j’espère avoir réussi à vous le transmettre afin qu’il vous aide et vous réconforte quand ça va mal. Je ne fais aucun miracle, et suis incapable de violence. Mais mon créateur m’a donné un cœur bon et de l’espoir à revendre. Et ça va sans doute vous paraitre encore plus bizarre, mais maintenant que nous avons vécu tout ça, maintenant que nous touchons au but, je ne suis plus tout à fait celle qu’il à créer. Je suis sous votre regard devenue une autre, imprégnée que je suis de tout ce que vous êtes.
La chose qui restera la plus tangible de moi sera mon nom. Lorsque je vous le donnerai, l’histoire de mon créateur sera définitivement terminée. Mais vous savez quoi ? Qu’importe, parce que maintenant je peux continuer la route avec vous et me libérer.
Merci d’avoir écouté.
Prenez soin de vous.
Votre amie : Sasha Steelers