A touch of Joy
« Non mais attendez : vous êtes sérieux !? »
Les yeux rivés sur le cristal de Vérité, Joy avait du mal à croire ce que ce dernier lui annonçait. Pourtant, les anciens du grand conseil des fées ne lui laissèrent aucun doute. Parlant tous ensemble d’une seule voix, ils répondirent sans hésiter :
« Le cristal t’as désigné Joy : c’est toi qui devra accomplir cette mission.
– Mais je… je suis qu’une fée débutante ! c’est à peine si je vole correctement !
– Tout cela nous le savons Joy. Mais le cristal a vu en toi la fée idéal pour aider cette jeune fille, alors il en sera ainsi… »
Voyant la mine déconfite de la petite fée, le conseil lui adressa quelques paroles d’encouragement :
« Ton manque d’expérience est une faiblesse, mais c’est aussi une force : tu agiras avec ton cœur, et c’est le plus important…
– Vous êtes marrant ! et si je me trompe, c’est cette jeune fille qui va en pâtir !
– Alors ne te trompes pas…
– Arf… vous en avez de bonnes… Bon très bien : je ferai de mon mieux ! »
Joy n’avait pas beaucoup confiance en ses chances de succès, mais elle se motiva comme elle pouvait pour rester souriante comme toute bonne fée qui se respecte. Pourtant lorsqu’elle quitta le grand conseil, elle ne put s’empêcher de soupirer devant l’ampleur de la tâche.
Elle virevolta à toute vitesse jusqu’à l’Arbre à rêve, et attendit son tour en faisant la queue tandis que Shrodon le golem de pierre orientait les fées en partance pour une mission. Chaque petite fée se présentait devant lui et lui chuchotait les mots magiques que le cristal de Vérité leur avait donnée. Ce message activait le lien entre le monde des rêves et celui des humains, permettant aux fées d’entrer en action.
C’était la première fois que Joy devait parler à Shrodon, et l’immense golem la terrifiait. Son corps, étrangement façonné, avait des allures simiesques qui lui donnaient un air pataud. Le long de ses bras étaient parcouru de dessins magiques qui ressemblaient à un feuillage et qui étaient animé d’un léger mouvement lorsque Shrodon bougeait. Mais ce qui faisait le plus peur à la petite fée, c’était sa bouche d’où sortaient deux crocs de pierre qui lui remontaient jusqu’au-dessus des yeux en formant une oblique indispensable pour ne pas lui cacher la vue.
« Suivante ! » dit Shrodon de sa voix caillouteuse
Joy réalisa que c’était elle la suivante. Elle s’envola très vite, mais hésita à s’approcher du golem. Ce dernier la fixa avec ses grands yeux (qui étaient en fait deux émeraudes ovales) et pencha la tête comme s’il réfléchissait :
« Je ne te connais pas » dit Shrodon « Qui es-tu petite fée ?
– Je… je m’appelle Joy ! et je suis une fée du soleil en mission dans le monde des humains
– Oh… As-tu parlé au cristal de Vérité ?
– Euh oui ! c’est lui qui m’envoie
– Et que t’as-t-il dit pour moi ?
– Euh… »
Joy réalisa avec horreur qu’elle avait oublié les mots magiques
« Ah bon sang je l’avais sur le bout de la langue…
– Sans les mots magiques je ne peux pas te laisser accéder à l’arbre à rêve petite Joy…
– Oh sapristi ! voilà que je vais échouer ma mission avant même de l’avoir commencée !
– Reste calme » dit Shrodon d’un air se voulant apaisant « ferme les yeux et rappelle-toi de la vision du cristal… »
La petite fée s’exécuta. Elle prit une grande respiration, et laissa ses souvenirs remonter. Elle revit alors l’image qui se reflétait dans le cristal et entendit à nouveau la voix de ce dernier résonner dans sa tête. Joy ouvrit soudainement les yeux et s’écria :
« Orim Zin Seldo Ralastan Braypan ! »
Les yeux de Shrodon se mirent à briller.
« Très bien petite Joy, je vais pouvoir te laisser passer. Mais la prochaine fois viens me dire le message à l’oreille… »
La petite fée laissa échapper un « oups » qui semblât faire sourire le puissant golem. Il tendit le bras en direction de l’arbre, et les dessins magiques tracé dessus se mirent à briller et à grandir jusqu’à sortir de lui et se connecter à l’arbre à rêve. Shrodon tira sur une des branches qui s’étira comme un fil et le tendit à Joy.
« Ne le lâche pas surtout ! » recommanda-t-il
Joy se cramponna à la branche brillante de toute ses forces et acquiesça. Lorsque le golem la relâcha, la petite fée fut entraînée à toute vitesse vers l’arbre, comme si la branche la tirait. Elle se mit à slalomer tout en gagnant de la hauteur et de la vitesse. Joy poussa un cri de peur mais en quelques instant il se transforma en cri de joie tant elle se sentait vivante. Tandis qu’elle montait vers le sommet de l’arbre, elle put apercevoir au bout des plus hautes branches des portails menant vers différents mondes, chacun traversé par une branche.
Finalement, Joy fût entraînée vers l’un de ses portails qu’elle traversa en un éclair, ne laissant derrière elle qu’un léger filet de poussière d’étoile…
***
Emily était accoudé contre le bord de la fenêtre à regarder la pluie tomber. Elle aimait les soirs d’orage, lorsque l’air se remplissait d’un parfum d’ozone et que le tonnerre frappait si fort que la maison tremblait. Le spectacle du ciel déchiré par la lumière la fascinait, et elle pouvait rester des heures à admirer la Nature se déchaîner, bercée par le son de la pluie.
Un éclair zébra le ciel sans un bruit, Emily se mit donc à compter les secondes avant le coup de tonnerre pour calculer à quelle distance se trouvait l’orage.
1, 2, 3, 4, 5, 6…
BRAAAAAM !
« 2 kilomètres… » estima la jeune fille « ça se rapproche ! »
Le père d’Emily lui avait appris cette méthode pour estimer la distance d’un orage un soir où, plus petite, elle était venue se réfugier auprès de lui tant elle était effrayée par les bruits du tonnerre. Afin de la rassurer, il lui expliqua que le son allant moins vite que la lumière, le fait de voir l’éclair puis entendre le tonnerre signifiait que l’orage était loin, et qu’elle pouvait même savoir s’il s’approchait ou s’éloignait en divisant par 3 le nombre de seconde entre l’éclair et le tonnerre, ce qui lui donnerait la distance en kilomètre.
Dès lors, Emily s’était prise de passion pour les sciences. Elle aimait trouver du sens aussi bien dans les phénomènes naturels que dans la réaction chimique des œufs mélangé à de la farine. Savoir pourquoi les choses étaient ce qu’elles étaient lui offrait un sentiment rassurant de contrôle.
Si seulement cela pouvait être la même chose avec les gens…
1,2, 3…
BRAAAAAM !
« 1 kilomètre à peine… il arrive droit par ici. » dit Emily pour elle-même.
Elle attrapa son appareil photo et le positionna de façon à bien cadrer le ciel. Elle ajusta le trépied et une fois satisfaite du résultat, enclencha le mode « fireworks ». C’était une fonction de l’appareil qui était conçu à l’origine pour les feux d’artifices, et qui prenait un cliché automatiquement dès lors que la luminosité augmentait soudainement.
Parfait pour capter un éclair.
Emily attendit patiemment, le regard plongé vers la pénombre du dehors. Elle sentie une pointe de nervosité l’envahir, et son cœur se mit à battre plus fort. Le silence était pesant, comme si l’orage retenait son souffle avant de frapper.
BRAAAAAAAAAAAM !
L’éclair tomba droit sur la fenêtre d’Emily qui s’ouvrit et claqua violemment, renversant la jeune fille par terre. Ses yeux saturés de lumière ne voyaient plus rien, ses oreilles bourdonnaient à cause de la détonation, et elle avait du mal à retrouver l’équilibre.
Lorsque son audition redevint à peu près normal, elle entendit une petite voix tout à côté d’elle :
« Nom d’un petit bonhomme : En voilà une façon de voyager ! »
Emily écarquilla les yeux. La pièce était de nouveau dans la pénombre, et sa vision commença à se réadapter. C’est alors qu’elle aperçut près du bord de la fenêtre une toute petite silhouette scintillante à peine plus grande qu’une tasse en train de virevolter.
Lorsque la vue d’Emily fût de nouveau opérationnelle, elle réalisa alors qu’il s’agissait… d’une fée !
Simplement vêtue d’une longue tunique jaune vif, maintenue à la taille par une ceinture à grosse boucle ou était accroché une pochette, la petite créature avait une paire d’aile semblable à celle d’une libellule qui frétillait dans son dos tandis qu’elle dessinait de gracieux arabesque, laissant dans son sillage de minuscule scintillement de poussière d’étoile.
Instinctivement, la jeune fille poussa un cri qui fit sursauter Joy. Elle s’approcha du visage d’Emily pour lui parler, mais cette dernière essaya de la repousser comme un vulgaire moustique.
« Mais arrête ! arrête ! » hurlait la petite fée « Je ne suis pas un bourdon ! »
Emily, paniquée, se releva d’un bond et prit la fuite en courant. Joy, les poings sur les hanches fit la moue et maugréa :
« Ah tu veux la jouer comme ça ? »
Elle se propulsa en avant et à toute vitesse rattrapa la jeune fille qui était en train de descendre le grand escalier du premier étage. Elle allait si vite qu’elle prit le luxe de virevolter à travers les barreaux de la rambarde, laissant derrière elle une traîne de poussière d’étoile, pour finir par surgir devant le visage d’Emily, les bras croisés et la mine renfrognée.
La jeune fille voulut crier de nouveau, mais Joy se plaqua sur ses lèvres pour les maintenir scellées.
« Stop ! ça suffit maintenant ! »
Emily chassa la fée d’un revers de la main, mais celle-ci restait toujours en face d’elle. La jeune fille finit par retrouver son calme et observa l’incroyable créature sous toutes les coutures.
« Nom de… mais qu’est-ce que c’est que…
– Je ne suis pas une chose ! » dit la petite fée avec fierté « je suis une fée du soleil !
– Une fée ? ça existe pas…
– Alors je suis quoi ? un frelon ? une mouche peut-être ? » dit Joy sarcastique.
– J’ai été frappé par la foudre et j’hallucine… c’est la seule explication !
– Où alors je suis réel et c’est la foudre qui m’a amené ici : c’est si incroyable ?
– Bah bien sûr que c’est incroyable… oh mon Dieu y’a une fée dans mon salon ! Et je lui parle !
– Ah bah tu vois on y arrive ! Toi tu es Emily c’est ça ?
– Tu connais mon nom ?
– Oui ! Oh mais au fait je ne me suis même pas présenté ! ah mais vraiment quelle tête de linotte je suis ma parole ! Je m’appelle Joy Shinyspark ! : enchantée de te rencontrer Emily ! »
La jeune fille resta muette tant elle était stupéfaite tandis que la petite fée continua de virevolter autour d’elle en sifflotant un air gai.
***
Emily avait conduit Joy dans la cuisine ou elle lui avait offert un morceau de biscuit et une goutte de lait qu’elle avait déposé dans un bouchon de bouteille. La petite fée se régala de ce festin tandis que la jeune fille l’observait avec curiosité et incrédulité.
Joy avait des cheveux blond courts, taillés façon « pixie cut » ce qui laissait voir pleinement son visage fin au trait gracieux. Mais ce qui était le plus fascinant, c’était son regard bleu azur plein de douceur souligné par le malicieux sourire qu’elle semblait avoir en permanence.
« J’en reviens toujours pas de ce que je vois… » dit Emily.
– Et bien moi… j’en reviens pas de ce que je mange : c’est délicieux ! » dit la fée avec gourmandise tandis qu’elle mordait à belle dent dans un éclat de chocolat. « Hum ! que c’est bon ! Merci encore Emily !
– Je t’en prie… » répondit la jeune fille toujours perplexe.
Son festin fini, Joy essaya de s’envoler mais décolla d’à peine quelques centimètre tant son estomac était chargé.
« Arf… je suis aussi lourde qu’un scarabée ! Maudit sois tu délicieux chocolat ! » dit la petite fée non sans humour.
La bonne humeur de Joy toucha profondément Emily. Cela faisait bien longtemps que la jeune fille n’avait pas partagé un moment comme celui-là avec quelqu’un. Cela lui fit sentir d’autant plus combien elle se sentait seule…
« Emily ? ça va ? » demanda Joy inquiète.
– Euh, oui oui… j’étais un peu dans la Lune
– Tu te sens triste hein ? »
Emily fut étonnée par le sérieux soudain de la petite fée et par la clairvoyance dont elle faisait preuve.
« Ne t’en fais pas ! » dit Joy avec entrain « C’est pour ça que je suis là ! pour t’aider à retrouver le sourire : ton vrai sourire ! »
Joy se mit à battre des ailes et virevolta autour d’Emily. La petite fée avait oublié ses craintes : face à la tristesse d’Emily, elle avait trouvé la force de mener à bien sa mission.
La jeune fille tendit la main et Joy se posa dessus, en signe de confiance.
« Tu sais Emily, si j’ai été envoyé c’est que l’arbre à Rêve à entendu ta tristesse, et c’est le rôle des fées de chasser les soucis ! Alors maintenant dis-toi que tant que je suis là, tout va bien ce passé !
– Tu es sûre de toi ? » demanda la jeune fille inquiète
– Bien évidemment ! » répondit la fée du soleil avec assurance »
Emily observa encore la souriante petite créature qui s’était mise à prendre des poses de danseuse classique au creux de sa main, puis la reposa doucement sur la table avant de pousser un lourd bâillement.
« pfouuu ! je suis fatiguée moi avec tout ça » dit Emily. « Il faut que j’aille me coucher !
– Quoi ? maintenant ? mais on vient à peine de faire connaissance ! j’ai plein de chose à apprendre sur toi si je veux réussir ma mission ! hein ? Et puis il faut qu’on devienne des amies ! qu’on se confie nos secrets ! tiens par exemple moi l’autre jour j’ai pris une fiole de nectar de fleurs dans la réserve du vieux Graplet… ouf ! ce que je me sens soulagée ! c’est super de tout se dire hein ? on devrait faire ça toute la nuit et…
– Mais il y’a école demain » dit Emily d’un air sincèrement désolée
– L’école ? c’est quoi ça l’école ? » demanda Joy.
***
La semaine, Emily vivait seule, car son père était un routier qui sillonnait la région pour faire ses livraisons. Elle avait donc sa routine matinale bien organisée : levé 7h, puis petit déjeunée, toilette et enfin un peu de télé en attendant le bus qui venait juste devant chez elle.
C’est d’ailleurs devant la télé que la jeune fille retrouva Joy, les yeux rivés sur les dessins animés du matin, se cachant le visage avec les mains, écartant tout juste les doigts pour regarder l’action.
« Oh bon sang Emy ! il faut que tu voies ça ! Poly l’ours est en train de grimper au pommier pour aller chercher Twiky l’écureuil qui a glissé et qui est sur le point de tomber ! Oh la la j’espère qu’il va arriver à temps ! COURAGE POLY ! TU VAS RÉUSSIR ! »
Emily ne se sentait pas le courage d’expliquer la notion de fiction à sa nouvelle amie. Elle préféra la laisser apprécier l’épisode des « animaux de la forêt magique » et jubiler à plein poumon lorsque Poly rattrapa de justesse Twiky. Joy était si heureuse qu’elle en pleurait de joie.
« Il est formidable ce Poly ! il a dépassé sa peur et il a sauvé son ami !
– Ça t’as plu on dirait ?
– Oh oui beaucoup ! dis ? c’est toujours aussi génial la télé ?
– Hum… non pas vraiment. D’ailleurs j’aimerai bien que tu ne la regarde pas trop… surtout le soir, d’accord ? »
Joy acquiesça en souriant et en faisait un salut militaire. Elle fit un claquement des talons qui souleva de la poussière d’étoile, le tout accompagné d’un « Oui chef ! » fort et clair qui provoqua l’hilarité de la jeune fille.
Quelques minutes plus tard, le bus était sur le point d’arriver et Emily semblait pensive…
« Il va falloir que tu te fasses discrète Joy : je ne veux pas créer la panique à l’école
– Pas de problème ! je sais être aussi furtive qu’un… qu’un… enfin je sais l’être !
– Et bien disons que… tu es quand même une fée qui brille et qui lâche de la poussière d’étoile dès qu’elle bouge un peu les ailes… » fit remarquer Emily
– Oh… je vois… sapristi j’allais encore commettre une erreur de débutante ! Mais qu’est-ce que je peux faire : je ne peux pas te laisser dès le premier jour ! en plus de ce que tu m’as dit cette école à l’air d’être un endroit terrible !
– J’ai peut-être une solution : et si tu te cachais dans mes cheveux, à côté de mon épaule ? Au pire on croira que tu es une boucle d’oreille ?
– Oh merveilleux ! c’est brillant ! brillant ! Emy tu es un vrai génie ! c’est toi qui devrait être une fée du soleil !
– Hum… ça ira Joy : je te laisse cet honneur »
La jeune fille tira en arrière ses longs cheveux noirs et Joy s’envola pour s’y cacher. Calé sur l’épaule d’Emily, elle avait une vue imprenable, et en cas de besoin, elle n’avait qu’à tirer une mèche de ses cheveux bouclés pour se dissimuler derrière.
Ça va Joy ? » demanda la jeune fille « tu es bien calée ?
– Parfaitement !
– Alors on y va : j’entends le bus qui arrive… »
Et effectivement un gros bus jaune arriva devant l’entrée de la maison au moment où Emily fermait la porte.
Ça par exemple ! » dit Joy « alors c’est ça un bus scolaire ? il a l’air gentil !
– C’est juste un véhicule tu sais… » murmura Emily tandis qu’elle traversait l’allé de la maison. « Mon père conduit des engins encore plus gros que ça…
– Sapristi ! » dit la petite fée en se plaquant les mains contre la bouche « encore plus gros ? c’est possible ? »
La jeune fille lança un « chut » discret tandis qu’elle arrivait devant la porte du bus. Elle monta sur le marché pied non sans saluer monsieur Polo, le conducteur, puis s’installa à la première place libre qu’elle pouvait trouver.
Emily se trouva assisse à côté d’un jeune garçon asiatique le nez coller à sa console de jeu vidéo portable, ce qui attira immédiatement l’attention de Joy.
« Dis Emy ? » murmura la petite fée « Qu’est ce qu’il fait ?
– Il joue à la console… » expliqua Emily avant de réalisé qu’aux yeux de tous elle parlait toute seule.
Le jeune garçon se retourna et lança un regard méchant à Emily :
« Qu’est-ce que tu racontes ! ça te dérange que je joue à la console ?
– Non pas du tout Franklin ! c’est que…
– Pfff… p’auv débile ! » dit le jeune garçon
Joy se sentait très mal d’avoir occasionnée cette situation, mais elle en voulait à Franklin d’avoir été méchant avec Emily. Elle décida alors de donner une bonne leçon au jeune garçon. Elle écarta légèrement les cheveux d’Emily, lécha son index puis le pointa en direction de la console de jeu.
« Aqua Splash ! » dit-elle en langue féerique.
Aussitôt, un scintillement magique parti de son doigt et frappa la console si rapidement que personne ne le vit. L’engin électronique se mit alors à suinter, comme s’il était rempli d’eau, et bien évidemment s’arrêta de fonctionner.
« Oh non ! c’est quoi ce bordel ! ma partie ! » hurla Franklin.
Joy ricanait, bien contente de son petit effet.
Cependant, lorsqu’elles descendirent du bus, Emily attrapa son téléphone portable pour parler discrètement à Joy et la sermonna :
« Joy il ne faut pas faire ça, c’est mal !
– Il n’avait pas à te parler comme ça ! » répondit la fée sur la défensive et sûre de son bon droit
– Oui mais il a cru que je me moquais de lui, en plus ce que tu as fait c’est vraiment méchant : ça coute cher une console de jeu…
– Oh mais ne t’en fais pas pour ça : j’ai juste envoyer de l’eau féerique dedans. Ça ne l’abîmera pas : dans une demi-heure elle remarchera comme si de rien n’était
– Tu es sûre ?
– Je te le promet : c’est contraire au code de fée de détruire ou d’abîmer.
– Bon… en tout cas je te remercie d’avoir pris ma défense.
– C’est à ça que sert une fée du soleil… et une amie ! »
Joy passa la tête hors de la chevelure de Emily et lui fit un petit clin d’œil. Elle profita de l’occasion pour jeter un œil à l’établissement et fût très impressionnée.
« Nom d’un petit bonhomme ! » dit Joy « C’est presque aussi grand que la citée des Tournesols ! Alors c’est ça l’école ? Pas étonnant que ça te fasse peur !
– Tu sais Joy… ce n’est pas tant le bâtiment que les gens dedans qui m’inquiètent » répondit la jeune fille en baissant le regard.
– Mais… pourquoi ça ? » dit Joy en observant à droite et à gauche « Je ne vois que des enfants ici ! »
Emily resta muette, et la petite fée n’insista pas, comprenant qu’elle venait de toucher un point sensible.
Lorsqu’elles arrivèrent devant le grand porche d’entrée du collège, une jeune fille habillé tout en jean interpella Emily avec agressivité :
« Hey ! Grosse tête, t’as l’air encore plus tarte que d’habitude aujourd’hui ! »
Elle se mit à rire et ses amis en firent de même, pointant du doigt Emily. Ce dernier ravalât un sanglot et continua son chemin. Joy elle, était ulcérée :
« Roh ! alors elle je la déteste déjà ! pour qui elle se prend !
– C’est Bianca, une fille de ma classe qui n’arrête pas de se moquer de moi
– Mais pourquoi elle fait ça ?
– J’en sais rien… peut-être parce que je ne suis pas normal
– Oh Emy… » dit Joy attristée « Tu ne dois jamais dire ça ! Tu es une jeune fille super
– Je suis qu’une geek, c’est pour ça que les autres se moquent de moi… une fille qui aime la science et les jeux vidéo ça n’est pas normal… »
Joy bouillait intérieurement, mais sa mésaventure avec Franklin lui avait enseigner qu’agir trop vite n’était pas la meilleure solution. Elle décida de continuer à jouer les observatrices tout en soutenant moralement sa protégée.
« T’en fais pas Emy : je suis avec toi, et si jamais ils sont méchant, ils goutteront à mes scintillements magiques !
– Joy !
– Hihihi… je plaisante voyons »
L’espièglerie de la petite fée redonna le sourire à Emily qui réalisa qu’elle vivait quelque chose de bien trop « magique » pour que ce soit gâché par quelle que remarque que ce soit. Elle se dirigea vers la salle de classe et se prépara pour le premier cours de la journée…
***
Après les cours de science et de lettre, c’était enfin l’heure de déjeuner pour les élèves du collège. Emily se dirigea comme à son habitude sous le grand arbre centenaire qui se déployait majestueusement devant l’entrée de l’établissement et s’y adossa.
Joy, qui n’avait pas pu parler de toute la matinée, se sentait enfin libérée.
« Mazette ! j’ai cru que je n’allais pas pouvoir tenir une minute de plus ! » dit la petite fée
– C’est vrai que tu es une sacrée pipelette » commenta malicieusement Emily
– Je sais… c’est que la Reine fée me dis toujours
– La Reine fée ? c’est votre souveraine ?
– Oui : c’est la fée la plus merveilleuse de toute. Elle sage, douce, gentille, et si tu la voyais ! ce qu’elle est belle !
– ça ne fait pas tout d’être belle… » dit Emily avec amertume.
– Pourquoi dis-tu ça voyons ?
– C’est juste que… c’est facile pour toi de dire ça : tu t’es vue ?
– Je… je ne comprends pas ?
– Même si tu es petite, tu restes malgré tout une jolie fille. Tu as de beaux yeux brillant, des cheveux étincelants…
– Mais ça c’est parce que je suis une fée du soleil…
– Peu importe… quand on te voit on se dit « oh ! en voilà une jolie petite fée ». En un regard les gens t’on cataloguer sans même savoir si tu valais plus que ça… »
Joy compris alors une part de la souffrance de sa protégée.
« C’est parce que les autres se moquent de ton apparence ? hein ?
– Pardon ?
– Si tu es triste c’est parce que les autres te rejettent parce qu’ils n’aiment pas ce que tu es c’est ça ?
– C’est plus compliqué Joy. Mais oui il y’a un peu de ça… mais je t’arrête tout de suite : ça ne sert à rien de me jeter un sort de transformation ou de me relooker comme une poupée Barbie. Je suis comme je suis, et j’en ai pas honte ! pourquoi ça serait à moi de changer ? hein ? Pourquoi il faudrait que je me change pour devenir… comme toi ! »
Le ton d’Emily était monté si vite et si fort que Joy en fut terrassé de chagrin. Comprenant trop tard son erreur, la jeune fille se confondit en excuse :
« Joy pardonne moi…
– Pourquoi tu m’as dit ça ? » dit la petite fée en larme « moi je ne veux que t’aider, je ne t’ai jamais jugée sur ton apparence… tout ce que je voulais c’est être ton amie ! »
Joy s’envola alors au sommet de l’arbre, à l’abri de son feuillage, et sanglota longuement.
Emily soupira : elle savait ce que ressentait Joy, parce que c’était exactement le sentiment d’injustice qu’elle ressentait lorsque les autres s’en prenait à elle. Elle voulut l’appeler, mais elle aurait beaucoup trop attiré l’attention sur elles. Elle resta donc au pied de l’arbre, à scruter les branchages dans l’espoir d’apercevoir le scintillement de la petite fée.
Malheureusement, elle fût interrompue par Bianca et sa clique.
« Hey la grosse tête : qu’est-ce que tu regardes là-haut ? t’as vu un chat perdu ? »
Emily ne lui prêta même pas attention ce qui fit bouillonner Bianca. Elle s’avança vers elle et la bouscula sans ménagement :
« Je te parle grosse tête ! fait pas comme si j’étais pas là !
Les deux amis de Bianca s’approchèrent. Il y’avait Cindy, une cigarette à la bouche, et Mélissa, dont le visage était à moitié caché par ses lourdes boucles rousses.
Emily n’essaya pas de parler : c’était inutile car aucune des 3 filles ne voulait l’écouter. Elles avaient simplement envie de l’embêter, aussi gratuitement que cela pouvait l’être. Par habitude, Emily préférait laisser passer l’orage. Lorsque Bianca et sa bande commençait à se moquer d’elle, Emily se réfugiait dans son monde intérieur. Elle imaginait une musique lourde et puissante monter, monter, puis soudain exploser, effaçant d’un coup Bianca et sa cour. C’était toujours le même morceau : « Mars : celui qui porte la guerre » tirée de « la symphonie des planètes » de Gustav Holst.
Ainsi, même si les 3 pestes se déchaînaient verbalement sur elle, son esprit était transporté par l’incroyable puissance de cette œuvre exceptionnelle.
Comme toujours, lassé par l’inertie de leur victime, les 3 filles finirent par partir. Cependant, dans un dernier geste de défi, Bianca bouscula de nouveau Emily qui se cogna contre Cindy… et surtout contre sa cigarette.
Le chemisier blanc d’Emily avait maintenant une large trace noire de cendre. Étonnamment, la jeune fille semblât plus touchée par cela que par les injures proférer plus tôt…
« Oh non ! non ! non ! non ! » dit Emily les yeux écarquillés « C’était à ma mère : c’est l’une des seuls souvenirs que j’ai d’elle ! mon père va m’arracher la tête !
– T’es sérieuses ? » demanda Bianca visiblement très affectée
– Oh la la ! t’imagines même pas ! »
Le regarde de Bianca se transforma en une expression de pure terreur. Elle posa doucement sa main sur l’épaule d’Emily et observa la trace avec minutie
« T’inquiète pas Emily… dans mon casier j’ai un super détachant. Avec un petit d’eau il restera aucune trace… ça va aller, je te le promets ! »
Emily non plus ne comprenait pas du tout l’attitude de Bianca, mais visiblement cette dernière était sincère. Elle la suivit donc jusqu’à son casier, puis elles se rendirent dans les toilettes pour nettoyer la trace de cendre.
Avec expertise, Bianca réussie à rattraper les dégâts, et il ne resta plus qu’un voile gris à peine visible sur le chemisier.
« C’est génial ! » s’exclama Emily en voyant le résultat « Merci Bianca : je t’en dois une »
Bianca détourna le regard et parla avec retenue :
« T’inquiète… je sais ce que c’est… »
A ce moment-là, Bianca déboutonna deux boutons de sa chemise en jean et tira le col pour révéler son épaule. Au niveau de la bretelle de son soutien-gorge, elle avait une énorme trace violette…
Sans rien dire de plus, Bianca réajusta son col, reboutonna sa chemise et passa amicalement la main dans les cheveux d’Emily tandis qu’elle partait.
***
Joy n’avait jamais autant pleuré de sa vie. Elle se sentait fatiguée, exsangue, mais surtout soulagée… du moins pour le moment.
C’est alors qu’elle entendit une voix grave et profonde :
« Enfin tu cesses de gémir !
– Qui… qui a dit ça ?
– Moi !
– Qui ça moi ? » insista la petite fée en cherchant du regard autour d’elle
– Je suis Salix, l’arbre de l’école »
La petite fée papillonna alors autour du tronc jusqu’à enfin trouver le visage de l’arbre.
« Pardonnez-moi ! » dit Joy humblement « je n’étais pas du bon côté pour vous voir
– Ce n’est rien petite fée du soleil. Mais dis-moi, que fait tu ici si loin de la citée Tournesol ?
– Le cristal de Vérité m’a envoyée en mission : je dois aider Emily… mais j’ai échouée
– Échouer ? en voilà un mot étrange… J’entends les humains l’employer à longueur de temps, mais rarement les fées…
– C’est parce que je suis certainement la plus misérable des fées
– Ha ha ha ! en voilà une drôle d’histoire, vous êtes bien toutes pareilles ! Toujours à dire cela !
– Vous avez déjà croisé des fées qui disaient la même chose que moi ?
– Oui, c’était y’a quelques temps. Elle s’appelait… arg ! par mes branches ! mes souvenirs sont tout entremêles… Ah oui ! Titania ! »
Joy manqua de jurer mais eut le réflexe de se plaquer les mains contre la bouche. Elle les retira doucement puis reprit la conversation :
« Sapristi : mais c’est notre reine ! comment se fait-il que vous l’ayez vu il a peu de temps ? elle reste toujours au palais d’habitude !
– Oh ? vraiment ? Pourtant je t’assure que ça ne doit pas faire plus de 40 ou 50 ans
– 40… ? »
Joy avait oublié que les arbres ne ressentaient pas l’écoulement du temps à la même vitesse que les autres créatures…
« Et vous dites que notre reine a dit elle aussi que c’était une fée misérable ?
– Elle a très exactement dit « Je suis si inutile que je ne mérite pas d’être une fée ». Et puis finalement elle à reprit sa mission et de ce que j’en sais elle s’en est plutôt bien sortie !
– Alors ça veut dire que peut être je ne suis pas si mauvaise que ça ?
– Tu serais mauvaise parce que tu as échoué une fois ? ha ha ha ! par mes racines voilà la chose la plus drôle que j’ai entendu ces temps-ci ! Voyons petite Joy, crois-tu qu’une forêt naisse en un jour ? crois-tu que les rivières feraient autant de détour si elles savaient exactement où aller ? Les petits se trompent pour devenir grand, dans leur esprit comme dans leur cœur… C’est bien trop exiger de soi que de vouloir tout faire bien en permanence ! »
Joy senti le courage revenir en elle. Même si Emily s’était fâchée contre elle, il fallait qu’elle la retrouve et qu’elles se réconcilient, car c’est ce que faisaient les vrais amis.
La petite fée remercia l’arbre d’un doux baiser scintillant sur l’équivalent de son front, puis voleta aussi vite que possible vers l’école pour retrouver Emily.
***
Choquée par ce qu’elle avait vue, Emily passa le reste de la journée à ressasser ce qui s’était passé. La confidence involontaire de Bianca avait radicalement changé la vision qu’elle avait de sa camarade et de son comportement. Mais que faire ?
« Pssst… Emy ! tu m’entends ? »
C’était la voix de Joy. Emily chercha discrètement du regard, puis compris que la petite fée se trouvait à ses pieds, cachée le long d’un des pieds de son bureau. La jeune fille fit semblant de se pencher pour rattacher les lacets de ses chaussures, permettant à la petite fée de remonter dans ses cheveux. Une fois ceci fait, Emily demanda la permission d’aller à toilette afin de pouvoir parler avec Joy tranquillement.
La petite fée fût la première à parler, virevoltant autour d’Emily comme un frelon surexcité :
« Emy je suis désolée, je n’aurais pas dû partir comme ça. Je n’avais pas compris que ça te faisait du mal ce que je pouvais dire…
– Moi aussi je n’aurais pas dû m’en prendre à toi comme ça à cause de ce que tu es. Je crois que j’ai dit ça parce que je suis un peu jalouse parce que tu es incroyablement jolie
– Tu le penses ? mais toi aussi tu es jolie, et puis drôlement intelligente en plus !
– Et toi tu es drôle et gentille : je me sens bien quand tu es là !
– Moi aussi ! On ne se connait pas depuis longtemps mais j’ai l’impression de te connaitre depuis toujours. Tu es… mon amie »
Joy se posa sur l’épaule d’Emily et enlaça son cou comme le pouvait.
« Je suis heureuse qu’on ne soit plus fâchée.
– Moi aussi Joy. Mais il faut que je te raconte quelque chose…
– Sapristi… ça a l’air grave !
– C’est à propos de Bianca…
– Roh cette petite peste ! si jamais elle t’a fait du mal je vais…
– Son père la frappe »
Joy s’arrêta net et plaqua ses mains contre sa bouche, les yeux écarquillés.
« Mais quelle horreur… » dit la petite fée « Comment un père peut faire ça à son enfant ?
– Je ne sais pas… et je ne sais pas quoi faire. Bianca m’a fait confiance parce qu’elle a cru que moi aussi je me faisais battre. Si je dis quoi que ce soit elle saura que c’est moi. Et si ça se trouve c’est un accident ?
– Non ! non ! ça n’est pas un accident : la violence n’est jamais un accident !
– Tu crois que je dois le dire à un adulte ?
– Oui ! il faut pré… »
Joy eut soudain une révélation.
« Orim Zin Seldo Ralastan Braypan…
– Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Emily
– C’est du Féerique… ça veut dire « dans le noir, les monstres aussi pleurent ». C’est le message que m’a donnée le cristal de Vérité ! c’est ça ma quête… non : notre quête ! On doit aider Bianca, c’est comme ça que tout s’arrangera pour toi aussi !
– Alors toi aussi tu penses que c’est à cause de ce qu’elle subit qu’elle est comme ça avec moi ?
– C’est évident !
– Alors tu as raison Joy : on doit agir pour la sauver ! »
Les deux amies se firent la promesse de tout mettre en œuvre pour aider Bianca.
***
Lorsque la fin des cours sonna, Emily fit signe à Bianca de venir la voir, et cette dernière fit signe a ses amies de l’attendre.
« Qu’est-ce que tu veux ? » demanda sèchement la jeune fille
– Bianca, je voulais te dire à propos de tout à l’heure…
– Quoi ?
– Il ne faut plus que ça continue ! c’est pas normal ! »
Bianca regarda alors Emily avec tristesse. Elle posa sa main sur son épaule dans un geste de réconfort.
« Ecoutes Emily, je sais ce que tu te dis… mais va pas t’attirer d’ennui. Pense déjà à toi.
– Je peux pas te laisser comme ça…
– Tu te doutes que j’ai déjà réfléchit à tout ça. Pour l’instant je sers les dents parce que je n’ai pas le choix, mais un jour je ficherais le camp de cette baraque pourrie et…
– Mais si jamais c’était trop tard ? Bianca, cette trace que tu m’as montrée est terrifiante ! Tu pourrais être gravement blessée… ou même pire ! »
Emily essayait d’être la plus convaincante possible, mais des années de mauvais traitement avait rendue Bianca fataliste.
« T’es mignonne grosse tête… et c’est gentil de t’inquiéter pour moi, mais je te demande de garder le silence t’as compris ? »
Le regarde Bianca était sans appel. Depuis longtemps elle avait appris à accepter son sort, et tout ce qui risquait de briser l’objectif qu’elle s’était donnée la terrifiait sans doute bien plus. Comme la plupart des victimes, une part d’elle n’aspirait qu’a la normalité, fût-elle une simple façade. Elle ne voulait pas devenir « la fille battue » et être définie ainsi par les autres. Et puis malgré tout elle aimait son père…
« Je te le promets mais à une condition : Si jamais ça recommence vient te réfugier chez moi. Mon père est tout le temps sur la route, alors on sera tranquille. »
Bianca grimaça, puis se résigna à accepter.
« Ok grosse tête… t’as ma parole »
Lorsque Bianca tourna le dos pour partir, Joy passa la tête à travers la chevelure d’Emily pour l’observer s’en aller.
« Oh la la la… ce qu’elle a l’air triste… » dit la petite fée
– Qu’est ce qu’on va faire Joy. J’ai promis de ne rien dire.
– Tu n’avais pas le choix : il faut qu’elle garde ta confiance. C’est ton amitié qui la sauvera ! »
La mort dans l’âme, Emily prit le chemin de la maison.
***
Afin d’en apprendre un peu plus à Joy sur le monde des humains, Emily lui avait proposé une « soirée télé » sous sa surveillance. La petite fée accepta la proposition avec plaisir, et les deux amies s’installèrent devant la télé du salon, avec tout ce qu’il fallait pour grignoter, et une grande couverture pour se réfugier au chaud dessous.
La soirée commença sur les chapeaux de roues avec la rediffusion de « Indiana Jones et la dernière croisade ». Captivée, Joy passa par un ouragan d’émotion devant cette histoire d’un brillant archéologue sur les traces de son père et leur lutte commune contre des gens visiblement très méchant appelé « laynazi ».
Durant la scène de la poursuite en side-car, Joy ne put retenir son excitation :
« ALLEZ-Y PROFESSEUR JONES ! METTEZ-LEUR UN BON COUP DANS LA FIGURE !
– Calme toi Joy, ce n’est qu’un film » dit Emily pour tempérer son impétueuse amie.
– Sapristi ! c’est un excellent film… OH REGARDE IL FAIT COMME LES CHEVALIERS ! » hurla t’elle tandis qu’Indiana Jones se servait d’une hampe en guise de lance pour terrasser un motard nazi arrivant d’en face.
Bien entendu, Joy pleura lorsque le Dr Jones sénior fût abattu par le méchant, et hurla de joie lorsque Indiana rapporta l’eau magique du Graal. Elle fit cependant remarquée à Emily que le véritable Graal n’était pas du tout comme ça, mais que ça magie était vraiment puissante.
Après ce film, les deux amies regardèrent « Dirty Dancing » ce qui fit monter le rouge aux joues de Joy. Cependant, à la fin du film, elle chantait à tût tête « Time of my life » en volant gracieusement dans la pièce.
Pour finir leur soirée télé, Joy accepta à reculons de regarder un film d’horreur, à la seule condition que Emily laisse la lumière allumée. Cette dernière accepta non sans faire remarquer à sa petite camarade que de toute façon c’était inutile puisque cette dernière brillait dans le noir.
Et c’est ainsi qu’elles commencèrent le visionnage de « Scream » et son éprouvante scène d’introduction. Terrifiée, Joy s’était réfugiée sur l’épaule d’Emily qui pouvait sentir l’effroi de la petite fée tant elle tremblait.
« Non non non ! ne décroches pas… » murmura Joy totalement angoissée. « Je suis sûr que c’est un méchant… »
Mais tandis qu’à l’écran l’héroïne regardait son petit ami être menacé par le tueur, quelqu’un frappa fort plusieurs fois à la porte de la maison, faisant sursauter Emily et hurler Joy de peur.
La jeune fille lança un regard inquiet à la petite fée : à cette heure-ci, il n’y avait qu’une seule personne susceptible de venir…
Elle se précipita pour ouvrir et découvrit Bianca, le visage en sang, tremblante et en larme.
« Oh mon Dieu Bianca qu’est ce qui s’est passé ? » s’inquiéta Emily. « Entre vite, ne reste pas là ! »
Une fois à l’intérieur, Emily jeta un rapide coup d’œil aux alentours et referma la porte qu’elle verrouilla à double tour.
Epuisée aussi bien physiquement que mentalement, Bianca s’était effondré sur les marches de l’escalier. Emily s’approcha d’elle et essaya autant que possible de l’ausculter. Elle avait de gros bleus au visage, et l’arcade gauche ouverte ce qui avait provoqué un saignement spectaculaire mais sans réel gravité. Sa mâchoire semblait douloureuse et Emily n’osait imaginer le genre de coup qui pouvait provoquer de telles blessures.
« Bianca, est ce que ça va ? répond moi… » demanda Emily pour forcer la jeune fille à se concentrer et ainsi parvenir à se calmer.
– T’avais… t’avais raison la grosse tête… j’en peut plus… je… »
Elle pleura à nouveau et se pencha vers Emily qui la prit dans ses bras.
« T’en fais pas. Il t’arrivera rien ici » dit la jeune fille d’un air rassurant.
– Je suis désolé de t’imposer ça… je savais pas où aller
– Tu as bien fait, t’as tenue ta promesse. Et moi je tiendrais la mienne. »
***
Bianca mis quelques minutes à retrouver son calme, et put expliquer exactement ce qui s’était passé. Son père venait d’essuyer un énième refus pour un travail, et il s’était saouler toute la journée. Lorsque Bianca arriva chez elle, il était dans un état second, comme catatonique. Elle essaya de le relever, mais cela ne fit que le rendre fou de rage. Il frappa sa fille 3 fois au visage sans aucune retenue avant de s’écrouler par terre une fois l’adrénaline retombé. C’est là que Bianca décida de fuir, se rappelant les paroles d’Emily.
La pauvre jeune fille était désespérée et Emily n’arrivait pas à trouver les mots pour lui redonner espoir. Dans un acte de foi, elle demanda à Joy de bien vouloir se montrer. Lorsqu’elle vit la petite fée voleter dans la pièce en laissant derrière elle une traîné de poussière d’étoiles scintillantes, Bianca crut que les coups la faisaient halluciner, mais l’attitude d’Emily lui confirma que tout cela était bien vrai.
Et c’est ainsi que Bianca fit la connaissance de Joy Shinyspark, fée du soleil.
Cette dernière proposa d’utiliser sa magie pour soigner la blessure que la jeune fille avait à l’œil : elle fit un geste rapide des mains ce qui projeta une pluie scintillante sur la blessure qui aussitôt cicatrisa comme si de rien n’était. Les filles regardèrent dans le grand miroir du salon le résultat, et lancèrent un regard plein d’incrédulité et d’admiration vers Joy qui se contenta de faire un grand sourire et de lever les deux pouces en signe de victoire.
Emily proposa à Bianca de dormir dans sa chambre, tandis qu’elle resterait sur le canapé du salon avec Joy. Réticente au début, elle finit par accepter, et terrassée par la fatigue et le stress s’endormi aussitôt, rassurée par la chaleur bienveillante qui se dégageait du foyer d’Emily.
Cette dernière eut alors une discussion avec Joy sur l’attitude à adopter par la suite :
« Là c’est clair : on ne peut plus rester les bras croisés ! » dit Emily avec conviction
– Je suis d’accord… mais que peut-on faire contre un adulte ? on est pas assez forte !
– Ce n’est pas une question de force… » dit Emily d’un ton sérieux « c’est de la stratégie…
– Tu me fais un peu peur… » dit la fée les mains crispé contre sa bouche
– Notre ennemi ce n’est pas le père d’Emily : Orim Zin Seldo Ralastan Braypan.
– Ton accent est un peu trop prononcé » dit Joy narquoise « Mais tu as raison, le vrai méchant c’est ce qui l’a poussé à devenir violent. Mais là ça devient compliqué ! je ne sais pas comment soigner un alcoolique !
– Moi non plus » dit Emily avec détermination « mais ce n’est pas ce que nous allons faire.
– Mais alors ? je ne te suis plus là !
– Je vais t’expliquer… »
***
Éclairée simplement par le projecteur LED de sa bicyclette, Emily faisait route vers la maison de Bianca dans le froid glacial de la nuit. Joy installée dans ses cheveux, se demandait si tout cela était bien raisonnable…
« Crois moi Joy : c’est la seule solution !
– Je sais… mais j’ai peur !
– Moi aussi… mais j’ai plus peur de ce qui pourrait arriver à Bianca si tout ça continue. Il faut qu’on réussisse coûte que coûte ! »
La détermination sans faille d’Emily trouva écho chez Joy.
« Tu as raison ! on va réussir ! et tout le monde sera heureux ! »
Les deux amies arrivèrent à destination, et Joy passa devant pour servir d’éclairage. La maison était du genre typique de celle qu’on trouvait dans la région, avec une toiture en ardoise rouge et des lambris en bois mat. Les volets étaient fermés, et visiblement depuis longtemps au vu des toiles d’araignées qu’il y avait dessus.
La porte d’entrée était restée entrouverte. Elle fit un son lugubre lorsque Emily la poussa pour entrer, glaçant le sang de Joy qui s’agitait dans tous les sens. Elles arrivèrent directement dans le salon, mais celui-ci était plongé dans le noir comme apparemment tout le reste de la maison.
« Sapristi… cet endroit me donne la chair de poule… » dit Joy
Pour se rassurer, la petite commença à fredonner l’air de « Time of my life ».
« Y’a quelqu’un ? » dit la jeune fille « Monsieur, je suis une amie de Bianca, je dois vous parler… »
Silence.
Emily chercha à tâtons un interrupteur et finalement parvint à allumer la lumière. Elle vit alors le père de Bianca effondré sur le sol, les vêtements trempés d’alcool… et une étrange créature assise sur son dos !
De couleur verte, grande comme la main, la créature avait une sorte de bec crochu et des yeux ronds et jaune. Elle avait aussi une longue queue pointue qui se balançait derrière elle tandis qu’elle dévisageait Joy et Emily.
La petite fée compris immédiatement à qui elles avaient à faire :
« Je m’en doutais ! un Trickster !
– Qu’est-ce que c’est ? » demanda Emily
– Cette saleté manipule l’esprit des gens pour les forcer à faire des choses… et après ils se nourrissent de leur tristesse !
– Quelle horreur ! »
Le Trickster fixa plus particulièrement Joy et esquissa un sourire effrayant :
« Tiens donc… une fée du soleil ? » dit-il avec complaisance « J’espère pour toi que tu ne viens pas me gâcher la soirée : elle avait tellement bien commencé !
– Tu dis ça à cause de Bianca c’est ça ? Monstre ! tu vas voir si je t’attrape ! » menaça Joy.
– M’attraper ? et comment tu comptes t’y prendre nabot ?
– Emily : on l’encercle ! il ne peut pas voler ça sera facile !
– Effectivement… » dit le Trickster avec décontraction « mais tu oublies que j’ai d’autre tour dans mon sac ! »
Vif comme un singe, il sauta en arrière et lança du bout de sa main un rayon verdâtre sur le père de Bianca. Celui-ci se mit alors à gémir, puis à se redresser. Il avait le regard vide, sans âme, et bougeait presque comme un zombie.
« Alors les filles ? qu’est-ce que vous allez faire contre papa ? » demanda le Trickster narquois
– C’est toi qui l’a poussé à devenir aussi méchant ! » dit Joy
– Ce n’est pas tout à fait vrai petite fée : c’est lui qui s’est mis à boire et qui a perdu l’espoir…
– Du coup c’était une proie facile… grrrr ! Sapristi je déteste les gens comme toi ! »
Joy fonça sur le Trickster et essaya de le frapper au passage. Malheureusement, il était extrêmement vif et évita facilement les assauts pourtant répétés de la petite fée.
« ah ah ah ! c’est comme ça que tu crois m’avoir ? tu perds ton temps ! »
Impuissante, Joy dut admettre qu’elle ne parviendrait à rien comme ça. Pendant ce temps, le père de Bianca commença à se diriger vers l’escalier menant à l’étage.
« Hey hey hey… » jubila le Trickster « qu’est-ce que tu vas faire si jamais je lui donnais assez d’idée noire pour qu’il ait envie… je ne sais pas… DE SAUTER PAR LA FENÊTRE !?
– Oh non ! Emily il faut que tu l’arrêtes ! si jamais il fait ça Bianca se sentira coupable !
– Oui parfaitement ! et je jetterai mon dévolu sur elle ! hi hi hi… tu vois à quel point mon plan est parfait ?
– C’est horrible ! »
Emily s’interposa et barra le chemin de l’escalier.
« S’il vous plait ! ne faites pas ça ! vous devez résister !
– Je… je peux pas… c’est trop dur… » dit-il « J’ai fait trop de mal à Bianca… je suis un monstre…
– Non ! c’est lui le monstre, il faut lui résister ! »
Joy continuait inlassablement de pourchasser le Trickster dans la maison pour faire cesser l’emprise mentale qu’il exerçait.
« Je t’aurais ! Je le jure au nom de Titania tu m’entends ! je t’aurais ! »
De son côté, Emily s’accrochait au père de Bianca de toute ses forces pour l’empêcher de monter les marches.
« Par pitié arrêtez-vous ! Résistez !
– Je n’ai plus la force…
– Si vous l’avez ! vous êtes un papa, et les papas ont toujours assez d’amour pour être fort pour leurs enfants ! »
A ces mots, le visage du Trickster fût frappé d’effroi. Il se précipita dans le salon et se jeta sur Emily.
« Tu vas te taire espèce de petite peste ! » hurla-t-il.
Mais alors qu’il allait frapper Emily, un filet de poussière d’étoile lui agrippa la jambe et l’empêcha d’aller au bout de son geste.
« Qu’est-ce que… ? » dit-il avant de réaliser que Joy le retenait via une sorte de corde constitué de poussière d’étoile.
– Alors qui est la plus maline ? depuis tout à l’heure que je vole partout dans la pièce j’ai mis de la poussière d’étoile partout : je peux t’attraper quand je veux maintenant ! »
Associant le geste à la parole, Joy claqua des doigts se qui fit apparaître un filet en poussière d’étoile qui tomba sur le Trickster. Ce dernier trépigna en hurlant, mordant et griffant, mais aucun de ses efforts ne fut capable de briser le lien magique qu’avait formé la petite fée.
Cependant, la victoire n’était pas encore acquise : le père de Bianca avait réussi à faire lâcher prise à Emily et reprenait sa funeste ascension. Il arriva au bout de l’escalier et s’avança vers la fenêtre la plus proche.
Emily se précipita sur lui et l’agrippa de nouveau pour le retenir. Mais c’était peine perdue…
Joy ne savait plus quoi faire. Elle devait trouver un moyen de briser le charme du Trickster, mais comment ?
« Joy ! Au secours ! il a ouvert la fenêtre ! il va sauter ! »
La petite fée eut soudain une révélation : le long de l’escalier, il y’avait des photos accrochées dans des petits cadres ronds. L’une de ses photos représentait Bianca avec ses parents, sans doute un soir de noël à en juger par le décor. Elle comprit alors quelle était la seule force qui pouvait le sauver.
A toute vitesse, elle vola jusqu’à l’étage et lança une puissante rafale scintillante sur le père de Bianca. Elle put ainsi chercher dans sa mémoire le souvenir de ce moment, et le faire remonter dans son esprit.
« Souvenez-vous de ce moment ! souvenez-vous de l’amour que vous avez pour votre famille ! » dit Joy.
Le Trickster avait compris que la partie était terminé : le sentiment d’amour brisa le lien de domination qu’il avait établi, et le priva de tout pouvoir ce qui le fit rapetisser à la taille d’un insecte. Il en profita pour fuir en gémissant…
« Je me vengerai petite fée… je me vengerai ! »
A l’étage, le père de Bianca retrouva enfin ses esprits. Effrayé par ce qu’il était sur le point de faire, il recula du rebord de la fenêtre et réalisa seulement la présence d’Emily.
« Que… qu’est-ce que… je t’ai déjà vu non ? tu vas à la même école que ma fille c’est ça ?
– Oui : je m’appelle Emily, et Bianca et mon amie… et je sais ce que vous lui avez fait. Ce n’était pas totalement votre faute, mais vous faites du mal à Bianca… vous devez vous faire aider »
Le père de Bianca avait le regard plein de culpabilité. C’était comme s’il sortait d’un long cauchemar et qu’il réalisait véritablement ce qu’il avait fait.
« Tu as raison petite… je ne peux plus faire de mal à ma Bianca comme ça… j’ai pas été assez fort pour elle. A la mort de sa mère j’ai sombré et je me suis toujours voilé la face…
– Alors il faut arrêter justement ! Vous devez faire ce qui est le mieux pour vous ET pour elle. En tout cas vous devez vous faire aider. »
Une pointe d’espoir apparut sur son visage.
« D’accord… je te promets que je vais me faire soigner… mais est ce que je peux te demander une faveur ?
– Euh… d’accord.
– T’as l’air d’être une fille sacrément courageuse pour avoir osé venir ici, et une bonne amie, du genre qui en a dans la tête… alors… est-ce que tu voudrais bien aider Bianca à ma place quand je ne pourrais pas être là pour elle ?
– Bien sûr Monsieur. C’est promis je serai à ses côtés pour la soutenir. »
Et c’est ainsi que Joy et Emily réussirent à porter un coup décisif à la tristesse qui s’était emparé de cette famille.
***
EPILOGUE
Cela faisait quelques mois déjà que le père de Bianca avait demandé une aide pour son alcoolisme. Il avait été interné dans un centre de désintoxication, et avait encore du chemin à parcourir. De son côté Bianca avait été placée dans une famille d’accueil ou elle réapprenait à vivre tout simplement.
Elle devint la meilleure amie d’Emily, et chacune pouvait compter sur l’autre dans les coups durs. Elles se voyaient quasiment tout le temps après les cours, et forgeaient ainsi une amitié qu’elles gardèrent même lorsqu’elles devinrent adultes.
Joy n’avait pas de mot pour décrire sa joie et sa fierté d’avoir réussi à rendre les deux jeunes filles heureuses. Elle comprit alors pourquoi le cristal de Vérité avait confiance en elle et en son courage. Cette épreuve l’avait rendue plus forte… mais elle n’en restait pas moins une petite fée espiègle !
« Alors les filles ? » demanda Joy a ses deux amies humaines « On regarde un film ce soir ? Mais pas un qui fait peur ! Oh non je sais : on a qu’à faire des gâteaux ! Ou alors on peut se raconter des secrets ? »
Bianca regarda Emily d’un air complice et répondit :
« Et pourquoi on ne ferait pas tout ça en même temps ? »
La petite fée scintilla de joie et se mit à virevolter partout dans la pièce, laissant derrière elle une traîné de poussière d’étoile…