Plus dure que tu ne le crois
Le couloir de l’hôpital ressemblait à un plan de caméra à la Tarantino recopiant De Palma. Un cadre débullé le long d’un espace parfaitement rectiligne, avec un traveling qui avance lentement tout en tournant doucement sur lui même à 180 degrés.
C’était en tout cas comme ça que je vois les choses tandis que je traverse les urgences sur une civière tirée par 2 ambulancier. Ils hurlent des informations aux… en fait je ne sais pas trop si ce sont des médecins ou des infirmiers. En fait je ne sais pas trop ce que je fais là.
Sa cogne dur dans ma tête. J’ai comme l’impression que je devrais avoir mal partout, que je devrais être en train de pisser le sang, mais pourtant je ne sens rien, et visiblement ma coagulation n’est pas un problème. En fait le problème c’est que je ne sens vraiment rien…
J’ai du m’endormir… ou tomber dans le coma c’est à vous de voir. Je commence à retrouver des sensations, mais pas les bonnes : j’ai la nausée, comme si je respirais à plein poumon de l’ammoniac. Mes yeux brulent et ma machoire pèse une tonne. Impossible d’articuler un mot.
D’un seul coup il fait jour, et je sens que je suis couverte de bandage comme si j’étais une momie. D’un seul coup je n’entend plus rien, mais je me rend compte qu’en fait la nuit est tombée.
Il s’est passé quoi entre temps ?
Et il s’est passé quoi avant tout ça ?
Je me rappelle être monté en voiture. Je me rappelle que c’était Daniela qui conduisait. Où est ce qu’on devait aller déjà ? C’était futile sans doute. On roule depuis quelques minutes, et on prend l’autoroute. On ne se dit rien de particulier, on écoute la radio. Y’a cette chanson qui passe « Harder than you think » de Public Enemy. Daniela adore ce gros son de cuivre avec cette basse hip hop. Moi j’écoute à peine.
Ça doit être à ce moment là que l’autre voiture à littéralement jaillit de la voie de gauche et nous à percutées de face. Mes sens sont saturés d’information et déclarent forfait. Quand je reprends conscience, Daniela est collé tout contre moi. Et ça n’est pas normal.
Elle ne bouge pas, et m’écrase de tout son poids. Sa tête est plaqué contre mon épaule mais je ne sens pas sa respiration dans mon cou comme lorsqu’on se blottie l’une contre l’autre. A la place, je sens un filet de sang séché qui part de sa tempe et qui descend le long de mon bras. Je m’apprête a me tourne un peu pour essayer de la redresser, mais une douleur inimaginable me traverse de bas en haut. Je hurle comme jamais j’ai hurlé dans ma vie. C’est si violent que je peine à reprendre mon souffle.
Daniela est toujours inerte. Pire encore, sa tête à basculée en avant et elle pend par la ceinture de sécurité qui est tendue au maximum. Et puis d’un seul coup je remarque ce qui aurait du me choquer immédiatement… y’a la tête d’un type encastré dans le pare brise.
Il a des centaines d’entailles sur le visage, et son bras gauche dépasse du trou causé par l’impact. Il y’a des traces de sang partout, et une odeur métallique atroce. Ma tête bourdonne, j’ai mal au cœur. Il ne faut pas que je vomisse, sinon je risque de me crisper ce qui réveillerait cette horrible douleur. Je risque de m’étouffer de la plus conne des façons, alors je me concentre, histoire de rester immobile et de pouvoir faire le vide.
Sa marche tellement bien que je me réveille dans l’ambulance. Je sens tout juste les secousses du véhicule qui se dandine à toute vitesse, mais ça c’est sans doute parce qu’on vient de me shooter à la morphine.
Les ambulancier m’ont intubé, alors je ne peux pas dire un mot. Tout ce que je peux faire, c’est leur répondre en clignant des yeux. Une fois pour oui, deux fois pour non. Je me sens impuissante, morte de trouille, paniquée. Tout se mélange très très vite, je me sens partir. J’agrippe le poignet d’un des ambulancier et je le supplie du regard de m’aider. Il prend ma main et la serre tout en me disant de ne plus avoir peur. Mais moi j’ai peur, peur que si je me relâche je ne me réveille plus jamais, peur de revoir la tête de ce type, peur de ressentir le poids de Daniela sur moi sans pouvoir la toucher.
L’ambulancier à dut en voir un paquet des comme moi. Ca se sens à la manière qu’il a de tenir ma main, à la caler avec les siennes, et au regard qu’il me porte. Il ne sourit pas, parce que ça ne serait pas adéquat, mais il ne semble pas effrayé du tout. Il parle d’une voix claire, et me dit que je suis stabilisée, que tout va bien, et que dans quelques minutes on sera à l’hôpital. Il me dit qu’il a trouvé mon sac à côté de moi avec mes papiers dedans, et qu’on va prévenir ma famille.
Est ce que ce sont ses mots ou bien la morphine qui à fini par agir, toujours est il que j’abdique et me laisser aller dans l’inconscience.
Me revoilà au présent, dans la chambre d’hôpital où je prends conscience que je viens d’avoir un accident de la route et que ma petite amie est morte sur moi. J’ai une épaule démise, des lacérations profondes sur les deux bras, 4 doigts cassés, et mes deux jambes ont été pulvérisé à hauteur des genoux et il a fallut m’amputer.
Bizarrement, j’avais déjà fait le deuil de mes guibolles. Sans doute parce que j’avais vu dans l’habitacle la purée de tomate qu’elles étaient devenues. Donc pas de scène choc ou je tire soudainement le drap pour réaliser que je n’ai plus de jambe, pas de crise de larme…
En fait après ce moment là, je me suis retrouvé incapable de pleurer. Et quand je dis ça, je veux dire physiquement capable. D’après le médecin, ça pouvait être lié aux lacérations causé par les éclats de verres, ou bien être psychosomatique. Bon, d’accord : t’avais plus vite fait de me dire que tu n’en savais rien docteur machintruc !
Lorsque la police vient me voir, il me confirment que le type d’en face à fait une embardé depuis l’autre voie et que sa voiture à été précipité sur la notre comme une torpille. Se serait un accident lié au régulateur de vitesse, ou une connerie du genre.
La faute à pas de chance.
Le conducteur est passé a travers le pare brise et est mort au bout de quelques heures après s’être vidé de son sang. Je leur dis que je le sais, parce que durant le peu de temps on j’ai été consciente, je l’ai vu agonir, je l’ai entendu gémir et essayer de s’extraire du pare brise. Je ne leur épargne aucun détail en esperant que ça m’en débarrasse.
Bien entendu je me trompe grandement à ce sujet.
Au moment ou les flics partent, j’ose une question qui me hante depuis que je suis arrivée : comment est morte Daniela ?
On me répond froidement « sur le coup ». C’est presque un soulagement, parce que je n’aurais pas supporté d’imaginer ma Danny agoniser durant de longue minutes à côté de moi alors que j’étais inconsciente. Me dire que je ne pouvais pas tenir sa main, ou l’embrasser une dernière fois alors qu’elle souffrait tandis que j’étais inerte me rendait dingue.
Je me rattrape à ce que je peux pour apaiser ma propre souffrance.
A cause de mon état, je ne peux pas me rendre aux funérailles de Daniela. Ce jour là j’ai envie de me jeter par la fenêtre, mais je ne peux même pas envisager de descendre du lit. Je voudrais pleurer de rage, mais ça aussi ça m’est impossible. De l’intérieur je me sens détruite, vide et dépossédée de tout. A 23 ans l’infirmité est un supplice : je dépends des infirmières pour me déplacer, ce qui veut dire pour aller au toilette, me laver…
La douche me fait horreur parce que je vois ce qui reste de mes jambes : deux bouts d’os recouvert de tissus raccommodé et de peau rougies par les sutures. Du coup, je me lave dans mon lit, avec un gant de toilette et un petit baquet d’eau. Le reste du temps, je me cache à moi même sous les draps. Lorsqu’on vient changer mes pansements, je m’allonge et je regarde le plafond parce que je suis saisie d’horreur vis à vis de mon propre corps.
Si au début les infirmières sont coulantes avec ça, elles finissent par me forcer la main. Il faut que je m’habitue, et que je réalise ce que je suis devenu. Bah désolé les filles mais ce n’est pas vraiment quelque chose dont j’ai follement envie de m’accommoder.
Mais elles sont coriaces. Elles me forcent à corriger ma posture, à faire des exercices pour maintenir mes muscles et à pratiquer des points de compression pour favoriser la vascularisation de mes bouts de jambes. J’apprends qu’il faut que je surveille les moignons, et surveiller qu’il ne se forme pas d’escarres ou de cloques.
Ma vie devient une procédure médicale. Mon appartement n’étant plus adapté à mon handicap, je dois déménager. De toute façon je n’aurais pas put continuer à y vivre à cause du souvenir de Daniela. Je suis touchée par le soutient que je reçois de la part de ses parents. Ils n’étaient pas vraiment ravi de la voir s’installer avec une autre femme, mais je penses qu’ils ont compris qu’on s’aimait, et que même si ça les privait de petits enfants comme ils en rêvaient, au moins leur fille était heureuse.
C’est Raphael, « Raph » comme je l’appelle, le frère de Daniela qui m’a trouvé un nouvel appartement. Ce n’était pas gagné d’avance, car les immeubles adaptés aux handicapés ça n’est pas si courant. Je réalise que ce monde est maintenant remplit d’obstacle pour moi. Une simple volé de marche est une barrière infranchissable, et une porte pas assez large un piège mortel.
J’apprends à vivre comme ça, avec mon fauteuil roulant que je dois apprendre à entretenir. Changer la gomme des roues, retirer les saletés avant de rentrer dans l’appart, huiler le roulement, resserrer tous les boulons…
Petit à petit, je deviens une « bonne » handicapé. Je connais tous les trucs et astuces pour palier aux soucis du quotidien, et j’ai réorganisé ma vie en conséquence. Pour éviter les contraintes et le regard des autres, je travail désormais à domicile. Mon ordinateur est ma fenêtre sur le monde, et il me permet d’oublier un peu ce que je suis devenue. Grace aux courses en ligne, je peux éviter les magasins mal adaptés où de toute façon j’ai toujours l’impression de gêner les autres.
Et puis ça m’évite de croiser le regard des enfants terrifiés qui se demandent sans doute ce qui m’est arrivé…
Régulièrement, je dois aller voir le kiné pour faire de la rééducation pour ma main. Ça c’est plus facile, et en théorie je devrais retrouver toute la mobilité de mes doigts d’ici un an ou deux. Je me contente de ce petit bonheur là, de pouvoir tenir un crayon et écrire mon nom.
C’est ma seule ligne de mire.
En plus de la rééducation de ma main, je dois aussi suivre des séances pour faire travailler le bas de mon corps, et éviter des problèmes circulatoires. C’est le moment que je déteste le plus de ma semaine. On me descend de mon fauteuil, et je dois faire des étirements, soutenir une position, bien renforcer mes hanches. Le but est d’éviter que les fléchisseurs se raccourcissent ce qui limiterait la possibilité d’utiliser des prothèses.
Dans la salle de kinésithérapie, je vois d’autres personnes handicapées, et leur vu me révulse, comme autant de reflets cassés de moi même. Autant que possible, je détourne le regard comme je le détourne de moi même…
Ce jour là, mon kiné m’annonce qu’il va quitter la région après son mariage et que ses patients vont être réparti entre les autres kiné. Il me présente alors sa future remplaçante, Camille.
C’est une jolie brunette, avec un visage si fin qu’on dirait découpé dans de la dentelle. Par contre son regard est d’une dureté effrayante. Elle porte un pantalon et une veste de survêtement assortie en coton bleu et un top blanc cintré qui lui comprime la poitrine et qui par dessous laisse entrevoir son nombril.
« Je peux savoir ce que tu regardes ? » me dit elle sèchement
Je balbutie quelques mots mais ne sait pas quoi répondre. Elle soupire tandis que mon kiné, lui, ne cache pas son hilarité. Il me fait comprendre que Camille est du genre « coincée » et que la rigolade ça n’est pas son truc. Elle lui répond que ça n’est pas ce pourquoi on la paye, et que s’il n’est pas content il peut se garder ses patients.
Charmant…
Les séances avec Camille changent radicalement de ce à quoi j’avais l’habitude : elle est sans pitié et me parle comme un sergent instructeur. Trouvant que mon programme était trop « molasson » elle m’inflige maintenant un véritable parcours du combattant qui me laisse à chaque fois avec des courbatures dans tous les sens.
Là ou son prédécesseur prenait en compte mes limites, elle n’en à absolument rien à faire. Même si je suis à bout, même si j’ai mal à en mourir, elle profite du fait que je sois sans défense pour me forcer à suivre son programme de dingue. Et bien sûr, je n’ai aucun moyen pour m’enfuir loin de cette folle, et je suis obligé de faire ses 4 volontés si je veux pouvoir retourner dans mon fauteuil.
Camille est une véritable furie : si quelqu’un ose l’interrompre pendant qu’elle donne une consigne, elle lève la voix. Si on ne la comprend pas du premier coup, elle soupire et se repète en serrant les dents. C’est une véritable terreur qui ne semble avoir qu’une obsession : rendre ma vie encore plus impossible.
Ce jour là, elle insiste pour que je travaille avec une machine de musculation. Normalement, c’est censé être pour les bras, mais ma tortionnaire à apporter des sangles qu’elle attache autour de mes cuisses puis qu’elle raccroche aux poignée de l’appareil. Les sangles sont trop courte, alors je me retrouve sur le dos, avec ce qui reste de mes jambes pendu en l’air…
« Alors tu attends quoi ? » me demande t’elle « pousse ! »
Je dois donc contracter le dos, le bassin et ramener mes cuisses à plat tout en tirant les 15 kilos qu’elle à accroché à la poulie. C’est difficile, mais je parvient avec effort à faire une série de 10. Je suis presque fiere d’y être arrivée, mais Camille etouffe dans l’oeuf cette maigre satisfaction : elle rajoute 5 kilos de poids et me demande de recommencer, mais cette fois en maintenant la position à plat 2 secondes entre chaque mouvement, et de faire ces derniers plus lentement.
Les 2 premieres répétitions se passent plutôt bien. Camille ne cesse de me corriger : sur ma posture, sur mes respirations… mais bon, je parvient quand même à faire l’exercice comme elle le souhaite. Et puis d’un seul coup une douleur me traverse de bas en haut. Je la connais cette douleur, c’est celle que j’ai ressenti dans la voiture lorsque j’ai repris conscience. Aussitôt je cesse de contracter mes muscles et les sangles catapultent mon bassin en avant tandis que je pousse un gémissement.
Camille soupire : « qu’est ce qui t’arrives bon sang !? » me dit elle excédée.
Je lui explique que j’ai mal, que c’est inquiétant parce que c’est la même sensation qu’après l’accident. Elle me laisse quelques instants puis veut reprendre. Je lui dit que pour moi la séance est fini, que j’ai besoin de me reposer. Pour une fois elle n’insiste pas, mais son regard est si méprisant et haineux que j’en ai froid dans le dos.
Maintenant j’appréhende ces séances, et je fini par me faire porter pâle. Une fois, deux fois… Je me dis que je devrais demander à changer de kiné, ou peut être carrément arrêter ces conneries. Je me sens comme ses fumeurs qui ne veulent pas arrêter même s’ils savent que ça va les tuer, et qui se trouvent une excuse en disant « faut bien mourir de quelque chose ».
Je réalise à ce moment là que même si je n’ai pas spécialement envie de mourir, je n’ai pas vraiment envie de vivre.
J’appelle l’hôpital pour leur signaler que je ne viendrais plus aux séances. Histoire d’avoir bonne conscience, je leur dit que je préfère consulter un kiné privé à domicile plutôt que d’aller dans un endroit avec du monde. Ils gobent mon histoire parce que c’est une réalité pour beaucoup d’handicapé : avoir de l’argent permet de s’offrir quelques luxes, dont notamment celui de ne pas se confronter aux autres.
Tandis que je tiens le combiné et que je parle à la dame du secrétariat, je me vois dans le reflet de ma fenêtre à demi ouverte. Je réalise que mes bras sont devenu massif à force de pousser mon fauteuil, et que mes épaules se sont arrondies. Mes mains aussi sont devenue plus musclés. Je ne suis plus la fille dont j’aimais voir la silhouette dans le miroir, avec son petit corps fin et délicat. L’accident me prend encore autre chose…
Deux ou trois jours après, on frappe à ma porte. Contrairement à ce que je crois, ce n’est pas le livreur qui vient m’apporter mes courses : c’est Camille, elle est bien remontée.
Sans que je l’invite elle rentre chez moi et se met à hurler comme à son habitude :
« C’est quoi cette histoire bordel !? Tu as décidée d’abandonner les séances ? mais qu’est ce qui tourne pas rond chez toi ? »
Je lui dis que j’en ai marre, que j’ai trop mal, que ma vie est déjà assez merdique sans avoir en plus à supporter une connasse comme elle. Je lui dit que j’en ai par dessus la tête de ses airs de petit caporal du dimanche et que si elle continue a se croire tout permis je lui botterai le cul dusse-je le faire avec ma tête depuis mon fauteuil.
Et là, sans que ça n’est aucun sens, je la vois sourire. Un sourire vrai, sincère, qui transforme son visage. Ce n’est plus la Camille sergent chef, ni la folle furieuse qui me torture à longueur de séance. Je ne connais pas cette femme devant moi.
Elle vient vers moi, et s’accroupie pour être à ma hauteur. Ses yeux presque dans les miens, elle me parle avec calme.
« Et ben tu vois… c’était pas compliqué ? »
Lorsqu’elle ne hurle pas, sa voix est plutôt agréable. Elle à un léger timbre grave qui rend sa voix plus chaude, et elle prononce les voyelles en les faisant traîner ce qui lui donne du charme.
« Ecoutes… » me dit elle sur l’air de la confidence « Je sais que t’en chie à mort. C’est pour ça que je suis dure avec toi. Parce que la vie ne fait pas de cadeau, et on à pas le luxe de se laisser aller. Il faut que cette rage elle te serve, il faut que tu puisses en faire une alliée. Avec moi t’as deux choix ma belle : soit tu te laisses conforter dans l’idée que tu es une handicapée, une pauvre fille qui à besoin d’aide parce qu’elle n’est capable de rien toute seule, soit tu montres à tous ses connards méprisant que même sans tes jambes tu es dix fois meilleures qu’eux… »
Je suis choquée d’entre ça de sa part, mais ça me fait un bien fou. Je lui réponds que j’arrive plus à me battre, que c’est trop dur, que je suis pas assez forte pour ça. Et là elle me réponds :
« Tu es plus dure que tu ne le crois »
Harder than you think…
Je repense à Daniela. Elle aimait le fait que je sois une battante… qu’est ce qu’elle dirait si elle voyait ce que je suis devenue ?
Camille à déjà la réponse : ce que tu es, tu le choisi. Point barre.
J’aimerai pouvoir pleurer, mais une fois encore je n’aurais pas ce soulagement. Pourtant de voir Camille sourire en voyant ma réaction, c’est peut être déjà un soulagement en soit.
Je lui promet de revenir aux séances, et sa seule réponse est de me promettre encore plus de brimade et d’exercices difficiles. Mais bizarrement, je prends soudainement ça comme quelque chose de positif.
***
Voila 2 ans que mes séances avec Camille se poursuivent. Grace à elle, j’ai repris le contrôle de mon corps, mais aussi de mon moral. J’ai transformé ma colère en motivation, et je me sens bien dans ma tête. Je ne suis plus une handicapée, mais une fille avec un handicap. C’est une nuance toute bête, mais elle à complètement bouleversée ma vie.
Mes progrès m’on permis de bénéficier de prothèses afin que je n’ai plus à utiliser de chaise roulante. Lorsque Camille me les installes pour la première fois, j’ai l’impression d’être un android dans un film de science fiction. On dirait les pattes d’un insecte géant, faites de tubes de titanes ultra léger mais ultra résistant.
Pour commencer, Camille me demande juste de m’habituer à les avoir, à faire quelques mouvement en restant assise sur une chaise haute et d’apprendre à les ajuster moi même. On fait ça pendant 2 séances, et enfin je peux passer à la station debout.
J’ai l’impression d’être Bambi… enfin cyber Bambi, avec mes pattes au coloris « black cobalt ». J’imagine Camille en Panpan, et cette idée me provoque un fou rire incontrolable. Comprenant que je me paye sa tête, elle cesse de me tenir :
« Alors Bambi ? on fais moins la maline maintenant ? »
Sauf que je reste stable, et que j’arrives à faire des petits pas. Pour ne pas avoir à sourire, Camille fait une petite grimace, alors que moi, folle de joie, je sautille sur place d’un pied sur l’autre. Evidemment je perds l’équilibre, et je me prends un gadin monumental. Mais je m’en fiche : je hurle de rire tellement je suis heureuse. Ca faisait tellement longtemps que je n’avais pas vu le monde à cette hauteur. Tellement longtemps que je n’avais pas senti mon corps se mouvoir dans l’espace ainsi.
Camille s’approche de moi et me tend la main pour m’aider à me relever. Mais Camille ne serait pas Camille si elle n’ajoutais pas une petite vacherie :
« Bon, maintenant que t’as finie de faire ton intéressante, on va peut être pouvoir bosser un peu ? »
Qu’est ce que je l’aime cette connasse…
***
Mes nouvelles jambes changent totalement ma vie. Je marche non seulement normalement, mais maintenant je peux même courir. le dimanche matin, nous faisons un petit footing avec Camille. Je ne peux pas dire qu’elle soit devenue mon amie, mais je reste convaincu qu’il y’a entre nous plus qu’un simple rapport médecin patient. Et même si c’est une râleuse et une emmerdeuse, c’est MA râleuse et MON emmerdeuse.
J’ai moins besoin de séance de kiné maintenant, du coup on se voit moins souvent. C’est aussi pour ça qu’on se fait notre footing du week end. Histoire de rester en contact.
Etant donnée mes progrès, Camille me propose d’intégrer un groupe d’handisport. J’hésites, car la compétition est un domaine qui m’est étranger. Je suis déjà fière d’avoir put me dépasser, alors à quoi bon me confronter aux autres ? La encore Camille le bouledogue revient à la charge :
« Arrête de faire ta chochotte enfin ! Tu vas bouger ton gros cul de feignasse et aller sur la piste : l’athlétisme ça sera parfait pour une cervelle de poule comme toi, y’a pas besoin de réfléchir ! »
Le problème à force de connaitre Camille, c’est que ses trucs de Jedi ne marchent plus sur moi. Me provoquer pour me faire aller où elle veut, ça c’était bon pour l’ancienne moi. Du coup, je l’oblige à jouer franc jeu, ce qui ne lui plait absolument pas mais qui me ravit !
« … bon d’accord ! la vérité c’est que je crois que tu as ce qui faut pour ça. Plus que toutes les autres personnes que j’ai put accompagner dans la thérapie, toi tu as un truc qui te pousses en avant. Je sais pas si c’est de penser à ta copine, ou bien d’en avoir plein le cul de m’avoir sur le dos, je m’en fous, tout ce que je sais c’est que t’as du cœur, et que quand t’es lancée on t’arrête plus. J’aime bien le fait que tu sois une battante… »
En entendant Camille reprendre les mots de Daniela, je me sens prise de court. Mon cœur se serre, et mes lèvres tremblent. Soudain, Camille vient tout près de moi, le regard inquiet, et pose sa main contre mon visage :
« Hey ? qu’est ce qui ne va pas championne ? » me demande t’elle avec une douceur qui semblait inexistante chez elle.
Je réalise alors qu’une belle grosse larme est en train de rouler le long de ma joue.
***
Je m’engage à corps perdu dans l’handisport. C’est un milieu formidable remplit de gens incroyable. Je découvre que mon histoire n’est pas si unique, et que certains sont encore plus à plaindre que moi. Sauf qu’en fait dans ce monde, personne ne se plaint, si ce n’est du regard des autres qui nous voient comme des petites poupées cassées.
Il y’a dans ce monde plus de courage, plus d’histoire héroïque et plus victoire fabuleuse que dans n’importe qu’elle histoire de super héros.
Vous en connaissez beaucoup vous des gens capables de jouer au football en étant aveugle ? ou bien des gens qui peuvent traverser un bassin de natation en quelques secondes alors qu’ils n’ont pas de bras ? Ces gens là sont légion dans ce monde. Ils sont partout autour de nous, relevant chaque jour des défis qui restent invisibles pour la plupart.
Moi même je deviens l’une d’entre eux. Sans jambes, je cours plus vite que la plupart des gens sans handicap. Oui, ici on ne dit pas « normaux », ou bien alors ironiquement.
Mes performances me poussent vers les classements régionaux, puis nationaux. Sur le 100m, je suis imbattable. Lorsque le coup de feu du départ rententit, c’est comme une libération : je lache tout ce que j’ai, à en faire exploser mon coeur. Les quelques secondes de l’épreuve sont des instants intenses que je vis comme des renaissances. L’effort est devenue une thérapie dont je ne peux plus me passer.
Camille elle, suit mes progrès de loin. Elle ne peut pas toujours venir lors des championnats, mais elle m’envoi toujours un message le jour J, le plus souvent une vacherie pour que je me motive. C’est devenu un jeu entre nous.
Mais aujourd’hui c’est différent, je veux qu’elle soit là. Pas simplement pour moi, mais aussi pour la remercier de ses efforts et du temps passé à m’aider a remarcher. Je veux qu’elle me voit, et qu’elle soit fière de ce qu’elle à accomplit. J’ai insisté en gémissant car je sais qu’elle déteste que je le fasse. J’ai insisté parce qu’aujourd’hui, c’est le jour des chronos qualificatifs pour les jeux Olympiques. Au téléphone, Camille ne trouve rien de mieux à me dire que « ça t’ira comme un gant de participer à des jeux créer à l’origine par des tas de pédés et de bouffeuses de minou, mais ça sera sans moi ».
Ce coup ci c’est moi qui vais la voir.
Elle m’accueille un verre de wisky à la main. Je lui dis que je trouve ça très théâtrale, et elle m’envoi sur les roses comme à son habitude. Lorsque j’entre dans son appartement, je comprends qu’il y’a quelque chose d’étrange. L’endroit semble figé dans le temps, comme coulé dans la résine.
Camille n’est ni en colère, ni bougonne, ni grincheuse. Aujourd’hui elle est triste à en pleurer. Elle n’a même plus la force de m’insulter pour m’envoyer paître. Je comprend qu’en fait elle ne va pas bien du tout.
Nous ne sommes pas ce genre d’amies qui se disent tout, mais je me dis cependant que je lui doit au moins d’essayer d’être là pour elle. Alors comme elle le fait si bien, je me montre odieuse. Je la provoque, je me moque d’elle, mais ça ne prends pas. Il faut croire qu’être une connasse dans son genre demande un sacrée entrainement.
Je regarde autour de moi et essaye de trouver quelque chose qui pourrait me donner un ascendant. Je remarque qu’il y’a plein de photo de Camille adolescente, dont une ou elle tient la main à une jeune femme avec qui elle partage un air de famille. La jeune femme est trop jeune pour être sa mère… peut être une grande sœur ?
Je lui pose la question mais elle ne fait que répondre « c’est pas tes affaires… » J’insiste. Je lui dis que si c’est sa frangine elle est bien plus jolie qu’elle, à t’elle point que je me la ferai sans hésiter.
La réaction de Camille est à cent lieue de ce que j’imaginais. Elle pose son verre sur le guéridon en verre teinté du salon et me regarde en souriant avec des sanglots dans les yeux :
« Tu rigoles ? » dit elle la voix tremblante « t’as vu comment t’es gaulée ? ma sœur aurait put se trouver bien mieux que toi championne ! Oh oui… bien mieux qu’une putain d’handicapée »
Camille craque et fini par me raconter toute l’histoire en se confondant en excuse. Sa soeur Patricia est morte quand elle avait 16 ans. Elle avait eut un grave accident qui l’avait laissé tétraplégique et avait fini par perdre complètement le gout de vivre à force d’être choyée par son entourage. Se sentant devenue un fardeau, et se croyant incapable de retrouver le bonheur un jour, elle se suicida en se tranchant les veines.
Cela fera 20 ans aujourd’hui.
Désolée d’avoir été si rude avec elle, je la prit dans mes bras en m’excusant. Je senti sa respiration dans mon cou, et son cœur battre à tout rompre contre ma poitrine. Elle se blottit tout contre moi et murmura tout bas :
« N’en profite pas hein ? sale gouine… »
Je lui répondis que je n’avais aucune attirance pour les connasses avant d’embrasser sa joue et de la serrer encore plus fort dans mes bras.
Lorsqu’elle se senti apaisée, Camille m’enlaça brièvement à son tour puis me remercia d’avoir été là pour elle. Pour détendre l’atmosphère, je lui demande si à cause de ça elle va encore me traiter de chochotte. Sa réponse fût très simple :
« Non, maintenant c’est moi la chochotte. En fait ça à toujours été moi. Je fais la fière parce que sinon tu t’en serais rendu compte. Toi par contre… tu es plus dure que tu ne le crois »